25/08/16

Le « step-up » fiscal luxembourgeois coulé dans une loi: problèmes particuliers d’application pour les résidents belges

Le projet de loi du 14 octobre 2015 - dont nous avons déjà fait écho dans notre blog du 22 octobre - s'est concrétisé depuis lors à travers l'insertion d'un article 102, alinéa 4a, dans la Loi luxembourgeoise concernant l'Impôt sur le Revenu (LIR) (loi du 18 décembre 2015 (publiée au Mémorial - le Journal officiel luxembourgeois - du 24 décembre 2015, A - n° 245, http://www.legilux.public.lu/leg/a/archives/2015/0245/a245.pdf#page=2).

Le contenu de la mesure telle que le prévoyait le projet de loi n'a pas été modifié : lorsqu'une personne physique transfère sa résidence vers le Grand-Duché de Luxembourg, ce dernier renonce unilatéralement à imposer la partie de la plus-value qui a été constituée dans l'État d'origine - c'est-à-dire avant le moment du changement de domicile.

Prenons l'exemple de monsieur Dupond, habitant du Royaume (belge), qui a créé en 2000 une SPRL belge, dont il est le principal associé. Les parts ont été intégralement libérées (capital de départ = 18.550 euros). Le 1er janvier 2016, Monsieur Dupond décide de transférer son domicile fiscal vers le Luxembourg. À ce moment, la participation de Monsieur Dupond dans la SPRL vaut 10.000.000 euros. Le 1er janvier 2017, Monsieur Dupond décide de transférer ses parts dans la SPRL belge à une SOPARFI pour le prix de 10.100.000 euros (valeur de marché de la SPRL au 1er janvier 2017), réalisant une plus-value de 10.081.450 euros (10.100.000 euros - 18.550 euros).

Comme le Luxembourg renonce à imposer la partie de la plus-value qui a été constituée en Belgique, il va réévaluer la valeur d'acquisition de la participation pour la détermination de la plus-value taxable, et ce au moment du déplacement du domicile, ce qui signifie concrètement que le Luxembourg va retenir la valeur de la participation au 1er janvier 2016 comme « prix d'acquisition réévalué », à savoir 10.000.000 euros. Par conséquent le Luxembourg va imposer une plus-value « réévaluée » de 100.000 euros (à savoir 10.100.000 euros - 10.000.000 euros), et ce à un taux de 21,80 % au maximum. En outre, la base imposable est encore plus faible, puisque le Luxembourg accorde une réduction de 50.000 euros pour les contribuables isolés et de 100.000 euros pour des époux qui déposent une déclaration commune. Il est également tenu compte, dans le calcul de la plus-value imposable, d'une quotité monétaire, et ce pour tenir compte de l'inflation. On constate donc concrètement que la plus-value « réévaluée » imposable est très sensiblement inférieure à la plus-value « originelle » (100.000 euros au lieu de 10.081.450 euros).

Le transfert du domicile vers le Grand-Duché de Luxembourg est donc la méthode par excellence pour réduire au strict minimum, voire supprimer totalement, la taxation des plus-values sur le transfert d'actions, par une personne physique belge, de son entreprise opérationnelle/familiale à une société holding qu'elle contrôle (SOPARFI) - ce qu'on appelle la plus-value « interne ». On sait que l'administration belge tend à imposer cette plus-value à 33 % en tant que revenu divers, dans la mesure où serait réalisée en dehors du cadre de la gestion normale de patrimoine privé.

Il faut évidemment qu'il s'agisse d'un changement de domicile réel et non simulé.

Le régime légal du « step-up » soulève cependant quelques points d'interrogation spécifiques dans la pratique. Parmi ceux-ci, il y a d'une part la problématique de l'application rationae temporis de la loi du 18 décembre 2015 (step up) et, d'autre part, la question de savoir - au cas où on souhaite céder ses actions à une société holding que l’on contrôle - s'il vaut mieux opter pour une vente ou pour un apport.

I.   APPLICATION DANS LE TEMPS DE LA LOI DU 18 DÉCEMBRE 2015

PROBLÉMATIQUE 

La date d'entrée en vigueur de la loi du 18 décembre 2015 est le 1er janvier 2015 (article 7 de la Loi luxembourgeoise du 18 décembre 2015).

Comment la plus-value imposable au Luxembourg doit-elle être déterminée, si Monsieur Dupond a transféré son domicile fiscal au Luxembourg le 1er janvier 2014, soit un an avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 décembre 2015 ? Monsieur Dupond peut-il encore faire application du régime du « step-up » en cas de transfert de ses actions à la SOPARFI le 1er janvier 2017 - à savoir après l'entrée en vigueur de la loi du 18 décembre 2015 ?

Supposons qu'au 1er janvier 2014, la valeur de sa participation était de 9.500.000 euros. La question clef qui se pose est de savoir si la plus-value taxable est 600.000 euros (c'est-à-dire 10.100.000 euros - 9.500.000 euros, en application du régime du « step-up ») ou 10.081.450 euros (c'est-à-dire 10.100.000 euros - 18.550 euros, sans l'application du régime du « step-up »).

INTERPRÉTATIONS DIVERSES 

On peut répondre à cette question de deux façons différentes. Certains praticiens estiment quel seules personnes physiques qui ont immigré au Luxembourg après la date d’entrée en vigueur de la loi sur le « step-up » (soit après le 1er janvier 2015) intègrent le champ d'application de la loi. Selon cette interprétation, la plus-value imposable est, dans notre exemple, de 10.081.450 euros.

Par contre d'autres soutiennent - à juste titre selon nous - que le régime du « step-up » luxembourgeois doit être appliqué à toutes les plus-values sur actions et parts qui ont été réalisées après l'entrée en vigueur de la loi, peu importe la date de l’immigration au Luxembourg. Si l’on retient cette approche, la plus-value imposable s'élève donc à 600.000 euros.

INSTAURATION DU « STEP-UP » FISCAL ET EXCLUSION

 Il convient de rappeler que le « step-up » fiscal a été instauré au moyen de l'alinéa 4a inséré par la loi du 18 décembre 2015 dans l'article 102 de la LIR. Le nouvel alinéa inséré stipule que : « Par dérogation aux alinéas 2 et 3, le prix d'acquisition d'actions, de parts de capital, de parts bénéficiaires et d'autres participations de toute nature détenues dans des organismes à caractère collectif et considérées comme participation importante au sens de l'article 100, ainsi que le prix d'acquisition d'un emprunt convertible lorsque le contribuable détient une participation importante au sens de l'article 100 dans l'organisme ayant émis l'emprunt, correspondent à la valeur estimée de réalisation de ces titres et de cet emprunt convertible à la date à laquelle une personne physique non résidente devient résidente au Luxembourg. La dérogation n'est pas applicable lorsque, avant cette date, le contribuable a été résident pendant plus de quinze ans et puis non-résident pendant moins de cinq ans. »

La seule condition imposée par la loi est que l'on doit détenir une participation importante (supérieure à 10 %) dans la société en question. Si l’on subordonne le step up (article 102, (4) LIR) à la condition que le changement de résidence ait eu lieu après le moment de l'entrée en vigueur de la loi du 18 décembre 2015 (à savoir le 1er janvier 2015), on ajoute à la loi, de manière injustifiée, une condition qui ne s'y trouve pas.

En outre, la loi n'exclut de manière explicite qu'une seule situation spécifique, à savoir celle où un résident luxembourgeois a d'abord été résident au Luxembourg pendant plus de quinze ans, et a quitté ensuite le Grand-Duché de Luxembourg pendant moins de cinq ans avant d'immigrer à nouveau au Luxembourg. Cette exclusion est en réalité une disposition anti-abus qui a pour but d'éviter que des résidents luxembourgeois émigrent puis immigrent de façon artificielle, en vue d'obtenir une réduction de la plus-value imposable sur leurs actions. Ceci signifie a contrario que toute personne qui ne se trouve pas dans cette situation spécifique peut faire application de la loi si elle respecte les autres conditions (détention d’une participation importante,…).

MESURE INTERNE POUR ÉVITER LA DOUBLE IMPOSITION

Il convient d'approcher la législation luxembourgeoise du « step-up » dans un contexte plus large, à savoir au départ des règles de répartition de compétences entre les différents États.

L'article 13, § 3, de la convention préventive de la double imposition belgo-luxembourgeoise accorde, en ce qui concerne la taxation des plus-values, le pouvoir exclusif d'imposition au Luxembourg (à savoir L'État de résidence de l'actionnaire). En principe, le Luxembourg peut donc prélever l'impôt sur la totalité de la plus-value qui est réalisée lors de la vente de la participation, y compris sur la partie de la plus-value qui a été constituée en son temps sur le territoire belge.

Nonobstant le fait que la Belgique ne connaît pas d'impôt à la sortie (« exit tax ») (contrairement à d’autres Etats tels que la France), l’État belge pourrait imposer la partie de la plus-value latente qui a été constituée sur le territoire belge. Il convient d'entendre par « plus-value latente » la plus-value non réalisée et non exprimée (en effet la vente ne se situera qu'après l'émigration au Luxembourg).

Ainsi, une double imposition économique pourrait surgir sur la partie de la plus-value qui a été constituée sur le territoire belge.

Pour éviter la double imposition, Les États ont le droit de prendre des mesures dans leur législation interne. Et c'est exactement ce qu'a fait le Luxembourg en introduisant le « step-up ». En d'autres termes, le Grand-Duché de Luxembourg a limité son propre pouvoir d'imposition pour exclure le risque de double imposition. Il le fait en renonçant à imposer la partie de la plus-value qui a été constituée sur le territoire belge (en prévoyant un « step-up » en ce qui concerne le prix d'acquisition des actions).

Ceci ressort également de l'exposé des motifs de la réglementation « step-up » luxembourgeoise : « éviter la double imposition de la plus-value de cession dans la mesure où celle-ci a été générée avant la date de l'établissement de la résidence fiscale au Luxembourg (...). De manière unilatérale, le Luxembourg renonce ainsi à son droit d'imposer la partie de la plus-value de cession accumulée dans l'État de sortie ».

L’objectif poursuivi par le Luxembourg (tout comme d'autres États, tels que les Pays-Bas) consiste à accroître son attractivité fiscale et à inciter de cette manière les particuliers fortunés à immigrer et à les retenir comme résidents. La nécessité pour le Luxembourg de rester attractif procède notamment de la suppression du secret bancaire (à la faveur des échanges automatiques de renseignements qui se profilent à l’horizon).

Le Grand-Duché de Luxembourg manquerait cet objectif s'il excluait du champ d'application du « step-up » les résidents qui étaient devenus résidents avant le moment de l'entrée en vigueur de la loi, et qui cèdent leur participation après la date d'entrée en vigueur de la loi.

CONCLUSION : LE MOMENT DU CHANGEMENT DE RÉSIDENCE EST SANS IMPORTANCE

La date de l'entrée en vigueur de la loi - le 1er janvier 2015 - n'a d'autre fonction que d’octroyer le step up aux réalisations de plus-values après cette date, indépendamment du moment où l'actionnaire a immigré au Grand-Duché de Luxembourg.

Le législateur luxembourgeois entend exclure la double imposition économique potentielle et d'attirer les résidents fortunés. Dans ce contexte, le fait de savoir si le pays d'origine - en l'occurrence la Belgique - dispose ou non effectivement d'un impôt de sortie (« exit tax ») est sans pertinence.

B.   ACTIONS À TRANSFÉRER : APPORT OU VENTE ?        

Une fois qu'on est résident luxembourgeois et qu'on a décidé de transférer les actions à une société holding luxembourgeoise (SOPARFI), il reste à résoudre la question de savoir si on va vendre lesdites actions à la société holding ou si on va les lui apporter, ou faire en partie une vente et en partie un apport.

Il convient d'accorder une attention particulière à la problématique du financement : En principe, le holding ne peut financer le prix d'acquisition des actions qu'à 85 % par des fonds empruntés et doit donc financer un minimum de 15 % sur fonds propres. En outre, le taux d'intérêt de l'emprunt (à savoir 85 % du prix de vente), doit être en ligne avec le taux du marché.

Si ces limites sont dépassées, le fisc (luxembourgeois) peut procéder à une requalification de l'intérêt « excédentaire » en distribution de dividendes cachée (article 164, 3, LIR).

 Denis-Emmaunel Philippe est avocat-associé chez Bloom 

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