21/09/15

Réforme du dialogue social : les innovations apportées par la loi

Après plus de 3 ans d’attente et de vives négociations, le projet de loi n° 6545 portant réforme du dialogue social à l’intérieur des entreprises vient d’être adopté par la loi du 23 juillet 2015 (ci-après la “Loi”) qui entrera en vigueur dès le 1er janvier 2016.

La Loi vient modifier une série de dispositions du Code du travail principalement afin de permettre d’améliorer le dialogue entre les représentants des salariés et l’employeur et ainsi permettre au paysage législatif d’évoluer et de s’adapter aux nouveaux enjeux économiques.

Originairement, lors du dépôt du projet de loi, le législateur avait en effet pour principal objectif (i) d’adapter le dialogue social aux réalités économiques nouvelles, (ii) de simplifier le fonctionnement du dialogue social et éviter les doubles emplois, (iii) de renforcer la transparence, (iv) d’intégrer pleinement le dialogue social dans la vie des entreprises et (v) d’améliorer la qualité du dialogue social.

En conséquence, il convient d’examiner comment les contours du dialogue social se dessinent depuis l’adoption de la Loi.

Mise en place d’une délégation unique : la délégation du personnel

L’adoption de la Loi va permettre l’avènement d’une nouvelle configuration des instances représentatives des salariés tant au niveau de l’entité économique et sociale, de l’entreprise ou de l’établissement [1]. Cette refonte a pour conséquence d’opérer également le transfert de certaines attributions d’une instance à l’autre afin de gagner en simplicité et en efficacité.

  • Nouvelle structure des organes représentatifs des salariés

    La principale innovation apportée par la Loi est la suppression du comité mixte au profit de la création d’un organe central : la délégation du personnel. Avant l’adoption de la Loi, le comité mixte et la délégation principale avait en partie les mêmes attributions, ce qui conduisait souvent à une complexification de la répartition des attributions entre les différents organes et amenait régulièrement à des doubles emplois.

    La suppression du comité mixte fait ainsi de la délégation l’unique organe représentant les intérêts des salariés et a pour finalité de simplifier la représentation du personnel par une concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule délégation par entreprise afin de valoriser la qualité du dialogue social.
  • Conséquence : transfert d’attributions

    Les attributions dévolues jusqu’à ce jour au comité mixte seront désormais transférées à la délégation du personnel qui voit partant ses pouvoirs s’étendre considérablement.

    En effet, l’article L.414-2 énumère les cas et/ou matières dans lesquelles la délégation du personnel devra être informée [2] par l’entreprise.

    Concernant les matières techniques, économiques et financières sur la vie de l’entreprise, elle ne devra pas seulement se contenter d’informer la délégation du personnel, mais devra en outre la consulter [3].

    Enfin, dans certains cas, l’entreprise ayant au moins 150 salariés devra recueillir l’avis de la délégation du personnel et faire participer cette dernière à certaines décisions de l’entreprise. Pour ces mesures, la décision devra être prise d’un commun accord entre la délégation et l’entreprise. En cas de désaccord, le litige sera soumis aux instances de médiation (voir point C).

Organisation et fonctionnement de la délégation du personnel

La Loi vient également modifier quelque peu l’organisation et le fonctionnement de la délégation du personnel afin d’augmenter la transparence du dialogue social.

  • Désignation des délégués du personnel

    La Loi prévoit que toute entreprise qui occupe au moins 15 salariés pendant les 12 mois qui précèdent le premier jour du mois de l’affichage annonçant les élections est tenue de faire désigner des délégués du personnel. La composition numérique des délégations du personnel est fonction de l’effectif des salariés qu’elle représente et n’est pas modifiée par la Loi.

    Concernant les modalités d’élection, la Loi permet à présent aux syndicats qui jouissent de la représentativité sectorielle de présenter des listes électorales.

    Sous l’ancienne législation, en cas d’absence de présentation des candidats, le ministre du travail désignait par arrêté les membres titulaires et suppléants. Or, la Loi vient modifier ce dispositif dans la mesure où elle prévoit que désormais dans une telle hypothèse, le ministre du travail pourra désigner par arrêté les membres titulaires et suppléants à la demande de la majorité des salariés.

    En outre, avec la nouvelle législation, en cas de renouvellement anticipé de la délégation du personnel, le ministre du travail pourra faire procéder au renouvellement intégral d’une délégation du personnel dès que sur une liste les membres effectifs ne sont plus en nombre suffisant et qu’il n’y a plus de membres suppléants pour occuper le ou les sièges vacants. Le ministre pourra alors faire procéder à un renouvellement dans les mêmes conditions avec l’accord de tous les syndicats qui sont représentés au sein de la délégation élue.
  • Structuration des différentes délégations

    La reconfiguration opérée par la Loi a entrainé la suppression des délégations divisionnaires, de la délégation centrale et des délégués des jeunes salariés. Néanmoins, la Loi introduit la possibilité d’élire une délégation au niveau de l’entité économique et sociale. L’article L.411-3 précise alors que lorsque plusieurs entreprises constituent une entité économique et sociale, il peut être institué à la demande d’au moins 2 délégations de l’entité (la demande devant intervenir dans les 3 mois après les élections des délégations), une délégation au niveau de l’entité économique et sociale. Les délégués sont élus par les délégations du personnel, chacun disposant d’une seule voix et ces derniers bénéficieront également de la protection contre le licenciement.

    La délégation au niveau de l’entité économique et sociale a pour seule attribution de représenter les intérêts de l’ensemble des salariés occupés dans les différentes entités. Autrement dit sa seule mission consiste à échanger des informations entre les différentes délégations.

Mise en place d’une instance de médiation

C’est une des grandes innovations de la Loi pour permettre de tenir compte des nouvelles réalités économiques et étendre le mode de règlement extra-judiciaire des litiges.

  • Cas d’ouverture

    La Loi introduit une procédure de médiation en permettant la création d’une commission de médiation (ci-après la “Commission de Médiation”) qui désormais se prononcera pour les cas suivants, si dans un délai d’un mois les litiges ne sont pas résolus suite à une mise en intervention de l’Inspection du Travail et des Mines (ITM) conformément à l’article L.612-1 du Code du travail :

    (i) en cas de désaccord sur le principe de l’existence ou sur la délimitation des établissements,

    (ii) en cas de contestation sur le bien fondé de la demande de mise en place d’une délégation au niveau de l’entité économique et sociale,

    (iii) en cas de désaccord quant au recours à un conseiller ou à un expert et la prise en charge des frais qui en découlent,

    (iv) en cas de désaccord sur l’un des sujets qui relèvent de la co-décision,

    (v) pour tout ce qui relève de l’organisation et du fonctionnement de la délégation du personnel.
  • Procédure

    La Commission de Médiation peut être instituée dans le cadre d’une convention collective. Elle est présidée par un médiateur désigné d’un commun accord par les parties dans la convention collective et cette dernière pourra se faire assister par un représentant de l’employeur et par un représentant de la délégation du personnel le cas échéant. 

    La procédure de saisie, les délais à respecter ou encore la prise en charge des frais de la procédure sont à fixer dans la convention collective. 

    Pour les entreprises qui ne sont pas couvertes par une Commission de Médiation, les parties pourront saisir le directeur de l’ITM. Il appartiendra alors à ce dernier de convoquer les parties en vue de la désignation d’un médiateur. Les parties seront libres de choisir un médiateur sur une liste de 6 personnes proposées par le Ministre du travail et arrêtées par le gouvernement en conseil pour 5 ans. A défaut d’accord entre les parties, la désignation se fera par tirage au sort sur la liste.

    En l’absence d’accord endéans un délai de 3 mois suivant la date de désignation du médiateur, ce dernier dressera un procès-verbal de désaccord qui sera transmis pour information aux parties et au directeur de l’ITM. Néanmoins, dans une telle hypothèse, toutes les voies légales de droit commun de règlement des litiges collectifs et tous les recours judiciaires resteront ouverts.

Autres apports de la Loi

  • Assistance par des conseillers ou experts

    Si la Loi maintient, en cas de demande par la majorité des délégués, la possibilité pour la délégation de personnel de faire appel lors des réunions à des conseillers internes ou externes, elle vient ouvrir cette possibilité aux entreprises qui comptabilisent au moins 51 salariés [4]. 

    En outre, désormais tant les syndicats qui jouissent de la représentativité nationale générale que ceux jouissant de la représentativité nationale sectorielle peuvent proposer des conseillers.

    Enfin, la Loi innove en permettant à la délégation du personnel de se faire assister par des experts externes sans exigence de seuil lorsque les questions sont déterminantes pour l’entreprise ou les salariés. Dans une telle hypothèse, l’entreprise prend en charge dans une certaine mesure les coûts financiers liés à cet expert.
  • Protection contre le licenciement (nouvel article L.415-11)

    La Loi innove en précisant que pendant la durée de leur mandat, les membres titulaires et suppléants des délégations du personnel et le délégué à la sécurité et à la santé, ne peuvent faire l’objet d’une modification d’une clause essentielle de leur contrat de travail. Dans une telle hypothèse, ces derniers pourront demander la cessation de cette modification auprès du président de la juridiction du travail statuant d’urgence comme en matière sommaire.

    En outre, si la protection contre le licenciement des délégués précités demeure, le délai pour agir en nullité contre le licenciement est étendu à 1 mois (et non plus 15 jours) suivant le licenciement. 

    Ce délai est également étendu à 1 mois (et non plus 8 jours) pour le recours du délégué mis à pied afin de voir maintenir provisoirement sa rémunération. Il convient de noter qu’à la différence avec la situation antérieure, le délégué conserve le maintien de sa rémunération pendant les 3 premiers mois suivant la notification de sa mise à pied. L’action étant introduite pour le maintien provisoire de la rémunération pour la période postérieure à ces 3 mois qui resteront en tout état de cause acquis pour le délégué.

    Alternativement, le délégué qui n’aurait pas introduit de recours en nullité endéans le délai précité pourra néanmoins encore exercer endéans un délai de 3 mois suivant le licenciement un recours devant le Tribunal du travail pour demander la cessation du contrat au jour de la notification du licenciement ainsi que la condamnation de l’employeur à verser des dommages et intérêts résultant du préjudice subi suite à la nullité de son licenciement. L’Agence pour le dévelopement de l’emploi (ADEM) considèrera ces délégués comme des chômeurs involontaires.

    Enfin, en l’absence d’action en résolution judiciaire introduite par l’employeur endéans un délai d’1 mois suivant la notification à comparaître, le délégué peut demander dans les 15 joursaprès l’écoulement de ce délai d’ordonner la continuation de l’exécution du contrat ou, s’il ne souhaite pas être réintégré, la résiliation du contrat avec dommages et intérêts. 
     
[1] Le législateur a fait le choix de changer de terminologie et remplace la notion d’employeur ou d’établissement par la notion d’entreprise. Or, cette notion ne semble à l’heure actuelle pas réellement définie ce qui risque sans doute en pratique de créer une certaine insécurité juridique à laquelle la jurisprudence devra apporter des réponses.
[2] Transmission par l’employeur de données à la délégation du personnel afin de leur permettre de prendre connaissance du sujet traité, de l’examiner, procéder à un examen adéquat et préparer, le cas échéant la consultation.
[3] L’échange de vues et l’établissement d’un dialogue entre les délégués du personnel et l’employeur sur base des informations fournies par l’employeur et de l’avis que la délégation du personnel est en droit de formuler de façon à permettre à la délégation du personnel de se réunir avec l’employeur et d’obtenir une réponse motivée à tout avis qu’elle pourrait émettre, et notamment en vue de parvenir le cas échéant à un accord sur les décisions relevant des pouvoirs de l’employeur.
[4] Sous l’ancienne législation, cette possibilité n’était ouverte que lorsque l’entreprise comptabilisait 150 salariés.
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