03/04/20

COVID-19 : La force majeure en matière de contrats commerciaux et de bureaux

Alors que le Parlement a confirmé et prolongé le 21 mars dernier, pour une période de 3 mois, l’état d’urgence en raison de la crise COVID-19 initialement déclaré par le gouvernement le 18 mars 2020, et que vient d’être dévoilé un programme de stabilisation de l’économie sans précédent, de plus en plus de voix s’élèvent dans le pays en faveur d’une suspension des obligations contractuelles en matière de baux commerciaux et de bureaux.

C’est ainsi que les villes de Luxembourg, Esch-sur-Alzette, Ettelbruck et Dudelange ont d’ores et déjà annoncé qu’elles suspendaient pendant la durée de la crise sanitaire l’obligation de paiement des loyers des locaux qui leur appartiennent et qui sont utilisés pour des activités de commerce ou restauration.

Le principal argument avancé par les défenseurs de la suspension des obligations contractuelles en matière de baux ou la résiliation  des contrats est que la pandémie, ainsi que les mesures gouvernementales prises dans ce contexte telles principalement la fermeture de certains établissements et la limitation des activités commerciales et artisanales, pourraient être considérées comme un cas de force majeure.

La présente publication a pour objectif de faire le point, dans le contexte actuel et à la lumière de la force majeure, sur l’obligation de paiement du loyer et des charges du locataire (1.) et l’obligation de délivrance du bailleur (2.). Nous aborderons également la question de la résiliation des contrats de baux pour destruction de la chose louée (3.).

L’obligation de paiement du loyer et des charges du locataire et la force majeure

Il convient de distinguer ici les 2 situations suivantes :

Le contrat de bail contient une clause de force majeure : Il s’agit d’une clause par laquelle l’une des parties ou les deux est/sont expressément autorisée(s) à suspendre l’exécution de l’une ou plusieurs de ses/leurs obligations issues du contrat, ou à solliciter une prolongation du délai d’exécution, suite à la réalisation d’un événement spécifique indépendant de sa/leur volonté. Suivant l’impact de l’événement sur l’exécution du contrat, il peut également autoriser la résiliation du contrat par l’une des parties, généralement si l’événement excède une durée convenue par les parties.

Dans cette hypothèse, la clause de force majeure devra être examinée avec la plus grande attention et précision afin d’identifier, à travers les termes utilisés, les événements qu’elle recouvre, que ce soit via une définition générale, une liste exhaustive ou faite d’exemples et si l’un de ces événements peut s’apparenter à la pandémie du Covid-19.

Suivant le résultat de cet examen, la clause de force majeure pourrait permettre une suspension de l’une ou plusieurs des obligations du bail, et notamment de celle du paiement des loyers et des charges, ou une résiliation du contrat.

Le contrat de bail ne contient pas de clause de force majeure : Dans ce cas, il convient d’appliquer les principes généraux du droit civil luxembourgeois selon lesquels un débiteur est tenu d’exécuter pleinement et correctement ses obligations contractuelles. A défaut, il est tenu d’indemniser le créancier pour les dommages subis par ce dernier du fait de l’inexécution (partielle ou totale) ou de la mauvaise exécution.

Les articles 1147 et 1148 du Code civil autorisent toutefois le débiteur responsable d’avoir violé ses obligations contractuelles à être déchargé de sa responsabilité s’il prouve que son manquement provient « d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée » plus communément appelée « force majeure ».

Pour pouvoir être qualifié de « force majeure » au sens du Code civil luxembourgeois, un événement doit présenter trois caractères cumulatifs à savoir être (i) extérieur à la partie qui l’invoque (c’est-à-dire hors de son contrôle), (ii) imprévisible au moment de la signature du contrat et (iii) irrésistible (c’est-à-dire dont les effets n’auraient pas pu être évités par des mesures appropriées). A noter que les juges procèdent à une analyse au cas par cas de la situation et de chacun de ces trois critères.

S’agissant du caractère externe, nous pouvons raisonnablement dire qu’il est constitué, tant en ce qui concerne la pandémie de Covid-19 que les mesures prises par le gouvernement luxembourgeois pour l’endiguer, ces événements étant en effet hors de la sphère d’influence des locataires. Il sera toutefois plus sensible de se prononcer sur le caractère externe ou non d’une contamination d’un locataire personne physique ou des employés d’un locataire personne morale

S’agissant de l’imprévisibilité, elle s’apprécie à la date à laquelle le débiteur s’est engagé envers son créancier. Il est donc permis de penser que l’imprévisibilité est constituée pour tous les contrats de baux conclus avant le début de la propagation du virus à l’Europe depuis le territoire chinois. S’agissant de la période subséquente, et notamment celle après l’introduction des mesures gouvernementales de fermeture de certains établissements et de limitation des activités commerciales et artisanales, la réponse est plus complexe dans la mesure où certains pays, notamment la Chine, avaient déjà pris de tels mesures sur leur territoire.

S’agissant de l’irrésistibilité, les tribunaux luxembourgeois considèrent, à l’instar de la jurisprudence française (Cass. com. 31-5-1976, n°75-14.625 : Bull. civ. IV n° 186), que ce caractère n’est constitué que si l’événement accablant cause une impossibilité totale et permanente d’exécution, laquelle se distingue d’une simple difficulté d’exécution ou même d’une exécution rendue plus onéreuse qu’attendu. Les locataires ne pourraient dès lors théoriquement suspendre leur paiement des loyers et charges pendant la période de crise sanitaire que s’ils parviennent à démontrer leur incapacité absolue d’assumer leur obligation de paiement alors qu’ils ont au préalable pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir cette situation.

Or à ce sujet, certaines voix pourraient s’élever pour faire remarquer que le lien de cause à effet entre les mesures gouvernementales de fermeture de certains établissements et de limitation des activités commerciales et artisanales et l’impossibilité de payer les loyers et charges se voit atténué si l’on prend en compte non seulement le devoir des locataires de gérer leurs liquidités et réserves de trésorerie en bon père de famille mais encore leur obligation générale de minimiser leur préjudice.

Cette position rejoint celle des juges français qui ont affirmé de manière générale que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (Cass. com. 16-9-2014 n°13-20.306 F-PB : RJDA 11/14 n° 886). Cette jurisprudence s’explique par le fait que l’argent peut toujours être remplacé, de sorte qu’il ne serait pas impossible pour le preneur à bail de payer ses loyers sauf peut-être en cas de panne généralisée du système bancaire.

De la même manière, certains pourraient également arguer du fait qu’une simple baisse du chiffre d’affaires due aux mesures gouvernementales prises pour endiguer la pandémie ne serait pas susceptible de justifier une suspension de paiement des loyers et charges, sauf à ce que les tribunaux luxembourgeois reconsidèrent leur position face à la situation exceptionnelle subie par le pays.

L’obligation de délivrance du bailleur et la force majeure

L’obligation pesant sur le locataire de payer le loyer (article 1728CC) est la contrepartie de l’obligation pesant sur le bailleur de délivrer la chose louée et d’en assurer la jouissance paisible par le preneur pendant la durée du bail (article 1719CC).

Ainsi la jurisprudence décide depuis toujours qu’un locataire peut refuser temporairement de payer les loyers et les charges en invoquant un manquement du bailleur à son obligation de délivrance et/ou de jouissance paisible des lieux loués.

Est-ce que les interdictions administratives générées par la crise sanitaires du COVID-19 induisent un manquement de la part du bailleur de mettre à disposition les locaux loués ? Autrement dit, est-ce que l’utilisation des locaux est interdite, ce qui relève du risque du bailleur, ou est-ce que l’activité est interdite ou empêchée par les arrêtés récents, ce qui serait alors dans la sphère de risque des locataires ?

Une consultation des textes ne donne malheureusement pas de réponse claire à cette interrogation. L’arrêté ministériel du 20 mars 2020 portant sur diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 dit en effet que : « Concernant les établissements recevant du public, les activités de nature culturelle, sociale, festive, sportive et récréative sont suspendues. Les aires de jeux sont fermées. Les établissements relevant des secteurs culturel, récréatif, sportif et HORECA sont fermés. ».

Et plus loin : « Toutes les activités commerciales et artisanales qui accueillent un public sont interdites. ».

Ou encore :  « Les commerces qui proposent des activités mixtes peuvent rester ouverts lorsque leur activité principale est énumérée au paragraphe 2. Les activités exercées en cabinet libéral relevant de la loi du 29 avril 1983 concernant l’exercice des professions de médecin, de médecin-dentiste et de médecin-vétérinaire ainsi que celles relevant de la loi du 26 mars 1992 sur l’exercice et la revalorisation de certaines professions de santé sont réduites aux problèmes de santé les plus sévères et/ou urgents. ».

L’arrêté mêle ainsi dans sa terminologie « établissements » et « activités ».

A ce stade, il nous néanmoins semble possible de dire pour s’agissant des locataires de surfaces de bureaux, que pour autant que le confinement n’ait pas été étendu à leurs activités, les locataires de telles surfaces peuvent toujours jouir des lieux de sorte qu’aucun manquement du bailleur à ses obligations décrites à l’article 1719 du Code civil ne serait caractérisé.

S’agissant des locataires de surfaces commerciales, la situation est beaucoup plus incertaine.

Doit-on considérer que les locaux sont interdits d’accès de sorte que le bailleur ne met pas à disposition du locataire un local dans lequel il peut exercer son activité ou au contraire que les locaux sont libres de toutes contraintes mais que l’activité du locataire ne peut temporairement pas être exercée ? Si on penche pour la première option, le locataire pourrait non seulement refuser de payer un loyer mais également exiger de la part du bailleur des dommages-intérêts parce qu’il ne peut pas exercer son activité. Dans ce cas , le bailleur devrait alors invoquer la force majeure qui serait une justification pour le défaut de mise à disposition des locaux, les interdictions administratives pouvant à notre avis être considérées comme une cause empêchant la responsabilité du bailleur face à son locataire pour des dommages liés à la fermeture des lieux loués.

La résiliation du contrat de bail commercial ou de bureaux pour destruction de la chose louée

En l’absence de toute disposition contractuelle autorisant la résiliation du bail par l’une ou l’autre des parties en cas de survenance d’un élément assimilable à la crise sanitaire actuelle, les locataires de baux commerciaux et de bureaux pourraient théoriquement recourir à l’article 1722 du Code civil.

Suivant cet article, le contrat de bail est résilié de plein droit si « la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit pendant la durée du bail ».

Selon la doctrine, la destruction totale de la chose louée ne vise pas seulement la destruction physique d’un bâtiment/local mais également l’impossibilité absolue et définitive de jouir des lieux loués, même lorsque celle-ci résulte d’un empêchement d’ordre juridique.

En l’espèce, les mesures gouvernementales de fermeture de certains établissements et de limitation des activités commerciales et artisanales étant par essence temporaires puisque calquées sur la période de confinement, il ne nous semble pas possible de faire valoir la résiliation de plein droit des contrats de baux impactés par ces mesures et ce même en cas de fermeture administrative stricte.

L’article 1722 du Code Civil dit plus loin que le locataire peut demander « selon les circonstances une diminution du prix ou la résiliation même du bail si la chose louée n’est détruite qu’en partie » ce qui vise, hormis la destruction physique partielle d’un bâtiment/local, l’impossibilité partielle (provisoire ou définitive) de jouir des lieux loués.

Dans la situation actuelle, la destruction partielle pourrait s’appliquer à des locataires commerçants visés par la fermeture partielle de leurs activités et l’interdiction de laisser ainsi le public accéder à une partie de leurs locaux tels notamment les restaurants conservant une activité de livraison de nourriture ou de vente à emporter ou les commerces de produits variés comprenant principalement des produits alimentaires et/ou d’hygiène. Or, quand bien même il y’aurait cas fortuit (ce qui reste à discuter) une destruction ou indisponibilité partielle ne justifiera a priori pas la résiliation mais une adaptation du montant des loyers à payer.

En conclusion

La relation entre bailleur et locataire est régie par le contrat mais les contrats de baux prévoient rarement comment gérer une situation telle celle que nous vivons actuellement, la crise sanitaire étant sans précédent dans l’histoire récente du Luxembourg.
Les lois et règlements pris en urgence laissent place à des interprétations contradictoires de sorte que l’insécurité sur la future jurisprudence dans cette matière est grande.
Les acteurs économiques, qu’ils soient locataires ou bailleurs, ayant besoin de sécurité juridique pour pouvoir gérer leurs affaires, ils peuvent rétablir cette dernière en négociant et en trouvant des solutions adaptées à leur situation particulière.

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