21/01/20

Panorama 2019 de la jurisprudence en droit des sociétés

Cet article reprend les principales jurisprudences qui ont marqué l'année 2019 en droit des sociétés.

Défaut de qualité à agir d’un actionnaire égalitaire pour introduire une action minoritaire

Dans un jugement du tribunal d’arrondissement du 13 juin 20191, le juge a rejeté la possibilité pour un actionnaire détenant 50% des actions d’une société de se prévaloir de l’action minoritaire prévue à l’article 444-2 de la loi de 1915 sur les sociétés commerciales, telle que modifiée (la « LSC »).

Pour rappel, l’article 444-2 de la LSC prévoit que :

« Une action peut être intentée contre les administrateurs ou membres du directoire ou du conseil de surveillance, selon le cas, pour le compte de la société par des actionnaires minoritaires ou titulaires de parts bénéficiaires.

Cette action minoritaire est intentée par un ou plusieurs actionnaires ou titulaires de parts bénéficiaires possédant, à l’assemblée générale qui s’est prononcée sur la décharge, des titres ayant le droit de voter à cette assemblée représentant au moins 10 pour cent des voix attachées à l’ensemble de ces titres. »

L’actionnaire égalitaire faisait valoir que deux conditions étaient requises pour pouvoir intenter l’action minoritaire : 1) une condition positive : détenir un seuil minimum de 10% des actions, et 2) une condition négative : ne pas être actionnaire majoritaire. Sur ce point, le tribunal considère qu’un actionnaire détenant 50% du capital social ne saurait, ne serait-ce que pour des raisons de terminologie, être qualifié d’actionnaire minoritaire.

Subsidiairement, l’actionnaire égalitaire proposait une interprétation par analogie de l’article 444-2 de la LSC, relevant que « la préoccupation de l’interprète de la loi, en cas de silence de la loi, devrait être d’élaborer une solution adéquate au problème considéré plutôt que de calquer des solutions légales imparfaitement adaptées ». Or le but de l’action minoritaire, selon le moyen de l’actionnaire égalitaire, serait de permettre à une minorité d’actionnaires de se substituer à une majorité défaillante. La situation serait identique pour un actionnaire détenant 50% du capital social, qui devrait également pouvoir se substituer à l’assemblée qui, faute de majorité, serait restée défaillante pour prendre en charge l’intérêt social. Partant l’actionnaire égalitaire devrait avoir capacité à agir sur base de l’article 444-2 de la LSC. Le tribunal rejette le moyen, considérant que l’article 444-2 est clair dans la mesure où il ne vise que les actionnaires minoritaires et qu’il n’y a donc pas silence de la loi. Permettre l’introduction de l’action minoritaire à un actionnaire détenant 50% du capital social constituerait un ajout d’un cas d’ouverture non prévu par le législateur.

Enfin, l’actionnaire égalitaire avançait que si l’on refusait l’action minoritaire à l’actionnaire détenant 50% du capital social, une question d’égalité entre actionnaires se poserait. En effet, l’actionnaire égalitaire considérait que si un ou plusieurs actionnaire(s) minoritaire(s) détenant (seul ou ensemble) moins de 50% pourrai(en)t déclencher l’action minoritaire, plusieurs actionnaires minoritaires détenant ensemble 50% pourraient déclencher l’action minoritaire. Un ou plusieurs actionnaire(s) minoritaire(s) formant ensemble une majorité pourrai(en)t voter à l’assemblée en faveur d’une actio mandati. Un actionnaire détenant seul 50%, en revanche, ne pourrait rien faire du tout. L’actionnaire égalitaire soulevait donc la question de la conformité de l’article 444-2 de la LSC à l’article 10bis de la Constitution selon lequel les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. Le Tribunal a estimé que la demande n’était pas justifiée compte tenu du fait qu’une décision sur la question soulevée n’était pas nécessaire pour la solution du litige. D’après le Tribunal, même à considérer que l’article 444-2 de la LSC soit contraire à la Constitution, cela ne conférerait pas de droit d’action à un actionnaire détenant 50% du capital social. 

Distinction entre le préjudice social et le préjudice individuel d’un actionnaire

Dans le cadre d’un litige entre un actionnaire et les administrateurs d’une société, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a rappelé dans un jugement du 17 octobre 20192  certains principes quant à la distinction entre le préjudice social subi par la société et le préjudice individuel subi par un actionnaire. Ce litige concernait, entre autres, une demande en dommages et intérêts à l’égard des administrateurs par un actionnaire, sur base de l’article 441-9 de la LSC, qui dispose en son alinéa 2 que « les administrateurs et les membres du comité de direction sont solidairement responsables, soit envers la société, soit envers tous tiers, de tous dommages résultant d’infractions aux dispositions de la présente loi, ou des statuts. »

En effet, le tribunal d’arrondissement rappelle que l’action individuelle « permet à un actionnaire d’agir contre un administrateur d’une société sur le fondement de la responsabilité acquilienne (ou sur la violation de la loi ou des statuts) et (…) exige un préjudice personnel et direct de chaque associé, distinct de celui éventuellement supporté par la société, et le préjudice invoqué doit être une suite immédiate et directe de la faute et/ou violation commise par le dirigeant. »

Le tribunal d’arrondissement poursuit en soulignant qu’en « droit luxembourgeois, l’action individuelle ne peut être intentée que par l’actionnaire qui s’estime victime d’un préjudice personnel, indépendamment de celui éventuellement supporté par la société, et l’amoindrissement du patrimoine social ne peut constituer le préjudice subi par l’associé. »

Enfin, concernant la distinction entre préjudice individuel et préjudice social, le tribunal d’arrondissement précise que « le critère permettant de distinguer le préjudice social du préjudice individuel réparable consiste dans le fait que ce dernier va directement affecter la valeur des titres ou la situation patrimoniale de l’actionnaire sans que le patrimoine de la société n’ait été atteint. Le préjudice individuel réparable est celui qui affecte directement le patrimoine de l’actionnaire sans impliquer en même temps une atteinte au patrimoine social ou un appauvrissement de ce dernier. Le préjudice individuel ne doit pas constituer une simple répercussion du préjudice social et doit, par conséquent, être déconnecté d’une perte qui affecterait l’actif social. »

Cette décision montre à nouveau la difficulté de l’exercice de l’action individuelle de l’actionnaire, dont le régime s’aligne sur le droit commun de la responsabilité. L’actionnaire doit ainsi prouver la faute commise par l’administrateur, le préjudice subi et le lien de causalité, le préjudice devant affecter uniquement le patrimoine de l’actionnaire concerné et non celui de la société. Or la faute de gestion de l’administrateur a le plus souvent pour seule conséquence « une baisse généralisée de la valeur des titres sociaux et relèvera par conséquence exclusivement de l’action sociale »3 .

Continuation de la société après sa liquidation

Par un arrêt du 19 juin 20194, la cour d’appel de Luxembourg a rappelé les principes concernant la poursuite de l’existence des sociétés après leur liquidation. En effet, l’article 1100-1 de la LSC dispose que « les sociétés civiles et commerciales, autres que les sociétés commerciales momentanées ou les sociétés commerciales en participation, sont, après leur dissolution, réputées exister pour leur liquidation. »

La cour d’appel relève donc que « la personnalité juridique d’une société en liquidation subsiste (…) à la décision de liquidation et son existence est limitée aux besoins de celle-ci. La société peut ainsi agir en justice en demandant et en défendant, mais du fait de la liquidation, les organes sociaux sont dépourvus de leurs prérogatives et seul le liquidateur est habilité à agir au nom et pour le compte de la société. »

Elle ajoute que l’article 1400-6 de la LSC « reconnaît (…) au liquidateur un pouvoir de représentation qui s’étend au-delà de la date de la clôture de la liquidation. Si la clôture a en principe pour conséquence la disparition de la société par la perte de son individualité, l’article [1400-6, alinéa 3] de la LSC autorise un certain nombre d’actions endéans un délai de cinq ans. Ces actions sont dirigées contre la société, représentée par son ou ses liquidateurs. »

Application de la dissolution-confusion

Dans un arrêt du 13 novembre 20195, la cour d’appel de Luxembourg s’est prononcée sur l’application de la dissolution-confusion prévue à l’article 1865bis du Code civil, qui dispose qu’ «(…) en cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation. Les créanciers peuvent, dans les 30 jours à compter de la publication de la dissolution, demander au président du tribunal d'arrondissement statuant comme en matière de référé, la constitution de sûretés. Le président ne peut écarter cette demande que si le créancier dispose de garanties adéquates ou si celles-ci ne sont pas nécessaires compte tenu du patrimoine de l'associé. »

La cour d’appel affirme dans son arrêt qu’ « en principe, la dissolution d’une société ne suffit pas pour entraîner la disparition de la société. Il faut également liquider ses actifs. La liquidation est la conséquence de la dissolution d’une société. L’article 1865bis du Code civil (…) vise l’hypothèse de la dissolution d’une société sans liquidation en présence d’une réunion de toutes parts en une seule main : la dissolution-confusion. La seule exception à l’enchaînement « dissolution-liquidation » est la situation où un associé détenant tous les droits sociaux décide de dissoudre la société. Dans ce cas, la société disparaît immédiatement en tant que sujet de droit. Il n’y a donc pas liquidation de la société, mais uniquement une dissolution de celle-ci. De société active, inscrite en tant que telle au Registre de Commerce et des Sociétés (ci après RCS), la société disparaît du RCS, en raison de sa radiation. Le patrimoine de la société est automatiquement et immédiatement transféré en tant qu’universalité à l’associé unique. Celui-ci recueille donc l’intégralité du patrimoine social et se substitue à la société dissoute dans tous les biens, droits, dettes et obligations de celle-ci comme s’il y avait eu fusion de sociétés. La substitution s’effectue automatiquement, par effet de la loi, sans novation et sans devoir respecter les formalités prescrites par la loi pour les cessions de certains droits. »

La cour d’appel précise que « si en France, les créanciers d’une société peuvent s’opposer à l’opération de dissolution, tel n’est pas le cas en droit luxembourgeois » et indique que le seul mécanisme de protection des créanciers consiste pour les créanciers à « demander au président du tribunal d’arrondissement, dans les trente jours de la publication au Mémorial de l’acte de dissolution de la société, la constitution de sûretés, si l’associé ne paraît pas disposer d’un patrimoine suffisant eu égard aux dettes qu’il reprend. » Enfin, ajoute la cour d’appel, le « président du tribunal d’arrondissement statuera au fond, mais selon la procédure du référé, ce qui se justifie au regard du caractère urgent de la problématique juridique. »
 

1. Tribunal d’Arrondissement de et à Luxembourg, Jugement commercial n°2019TALCH06/0027 du 13 juin 2019, rôle n° TAL-2018-04054.

2. Tribunal d’Arrondissement de et à Luxembourg, Jugement civil n°2019TALCH20/00009 du 17 octobre 2019, rôle n° 164577.

3. Lux. 29 juin 2007, Bull. Barreau 2007, p. 170; Cour 30 nov. 2011, Pas. 36, 2013, p. 214, in Précis de droit des sociétés, Alain Steichen, 2018, p. 310.

4. Cour d’appel de Luxembourg, Arrêt n° 96/19 IV-COM du 19 juin 2019.

5. Cour d’appel de Luxembourg, arrêt n° 142/19 VII-CIV du 13 novembre 2019.

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