23/10/17

Limoger les seniors est-il rentable?

Dans une ère où il semble plus judicieux, pour être ou devenir compétitif, de restructurer ou de rationaliser[1], le licenciement des seniors[2] ne cesse d’augmenter. Bien qu’il ne s’agisse pas nécessairement d’un acte socialement et économiquement anormal, à y bien réfléchir, les conséquences financières d’un jeunisme à outrance peuvent s’avérer plus importantes que celles du choix de maintenir l’emploi des plus anciens, d’utiliser leur compétences et de leur assurer une paisible sortie du marché du travail.

Les tribunaux considèrent abusifs[3] la légèreté blâmable avec laquelle sont parfois licenciés les seniors. Ils condamnent alors l’employeur à dédommager[4], à côté des indemnités légales, le préjudice matériel et le préjudice moral, ainsi que, le cas échéant, la perte de revenus engendrée par le licenciement abusif; indemnisation qui peut être calculée à partir de la fin du préavis jusqu’à l’âge de la retraite du salarié licencié.

La sanction de l’abus peut donc être très onéreuse. Concrètement, selon le cas, l’indemnisation du préjudice matériel du salarié licencié peut aller jusqu’à 36 mois de salaire.

Ainsi, au titre du seul préjudice matériel, un salarié de 57 ans, avec une ancienneté de 9 ans, licencié à 3 ans de la retraite s’est vu allouer 27 mois de salaire[5]. Un autre âgé de 62 ans, qui s’est vu licencier après 11 ans d’ancienneté a obtenu 28 mois[6]. La cour d’appel est allée jusqu’à condamner l’employeur à payer un dommage matériel de 36 mois quand bien même le salarié, âgé de 57 ans et à 3 ans de la retraite avait rapidement retrouvé un emploi après son licenciement[7].

Quant à la perte de salaire, on a pu voir l’employeur condamné à dédommager, pour une période de 26 mois, cette différence entre la rémunération perçue auprès de l’ancien employeur et le salaire touché par le salarié licencié, âgé de 56 ans et 9 mois, avec 4 ans d’ancienneté[8].

Pour le préjudice moral, les tribunaux ont pu allouer un montant forfaitaire jusqu’à 35.000.- euros[9].

... démontrent que les juges tiennent compte de critères objectifs

Ce n’est pas l’âge avancé du salarie licencié qui permet d’augmenter indéfiniment le montant des indemnités, puisque cela reviendrait à rendre matériellement impossible le licenciement d’un salarié âgé, « ce que ni la loi ni la jurisprudence ne consacrent »[10].

Les critères considérés sont nombreux, sans qu’on puisse cependant faire un inventaire qui serait à considérer comme une « règle » mathématique.

Matériellement, les tribunaux tiennent notamment compte de la situation globale du marché du travail concerné, des chances ou perspectives de trouver un nouvel emploi, de l’ancienneté et de la proximité de la pension, du profil professionnel et du secteur d’activité concerné, des chances de retrouver un salaire identique ou similaire, voire des éventuelles capacités de réaffectation en interne.

Moralement, ils prennent en consideration l’état de santé, l'atteinte à la dignité (à la considération sociale) du salarié, son désarroi causé par le licenciement, et la brutalité de la fin de carrière professionnelle.

Les alternatives s’inscrivent pourtant aussi dans l’ère du temps...

Peu importe les générations, aujourd’hui, on parle plus de talent que de performance. De même, dans certaines professions le savoir-faire se perd et dans d’autres l’esprit d’entreprise est primordial.

Il semble donc socialement plus judicieux de miser sur la transmission des savoir-faire et des compétences en permettant un aménagement de la fin de carrière pour permettre un meilleur passage entre la vie active et la retraite en utilisant les seniors.

Par exemple, cette transmission peut se faire via le tutorat[11] ou via des formations internes qui pourraient être données par les salariés qui justifient d’une ancienneté et de l’expérience nécessaires.

On peut difficilement imaginer qu’un senior bientôt retraité, capable de le faire, refuse de former son remplacant notamment si sa loyauté découle des nombreuses années passées au sein de l’entreprise.

... sont moins onéreuses voire rentables

Transiger avec les seniors, avant tout procès, sur les modalités d’une sortie honorable présente par exemple bien plus d’avantages. La transaction peut permettre de diminuer les incertitudes juridiques d’une action en justice, et d’économiser des frais juridiques qui peuvent s’avérer importants surtout lorsque le procès est long, ce qui est souvent le cas en raison l’engorgement des tribunaux. Enfin, elle permet également d’éviter les tracas et le stress associés.

Une transaction en cours de procédure reste intéressante d’un point de vue comptable pour l’employeur qui pourra reprendre la provision pour risque qu’il a pu comptabiliser en charge, et d’un point de vue fiscal pour le salarié qui peut bénéficier d’une exonération d’impôt sur le revenu pour les indemnités perçues jusqu’à concurrence d’un montant qui s’élève à 12 fois le salaire social minimum pour travailleurs non qualifiés[12].

Il ne faut pas non plus oublier que si le salarié licencié a perçu des indemnités de chômage, la loi prévoit que l’Etat[13] doit être mis en cause dans le procès, afin de lui permettre d’obtenir le remboursement des indemnités de chômage[14] de la part de la partie qui perd le procès.

... malgré les limites du système

Il existe certes des mesures et des aides au maintien de l’emploi qui visent les seniors[15]. On pense notamment au plan de maintien de l’emploi qui vise les entreprises confrontées (ou qui le seront) à des difficultés économiques.

On pense aussi au chômage partiel[16], par lequel l'Etat rembourse à l'entreprise 80% des salaires normalement perçus par les salariés concernés pendant les heures chômées.

Cependant, la plupart desdites mesures et aides ne couvrent que les seniors qui sont déjà demandeurs d’emploi, dont ceux qui ont déjà été licenciés.

Le législateur luxembourgeois réfléchit toujours sur les moyens de mettre en place des mesures visant à maintenir dans l'emploi ou recruter des salariés âgés.

Par exemple, le projet de loi n°6678 portant introduction d'un paquet de mesures en matière de politiques d'âge[17] stagne depuis près de 3 ans. Ce paquet de mesures ne visent toutefois que les entreprises d’au moins 150 salariés.

On peut se demander à quand ces mesures seront-elles etendues aux seniors qui travaillent déjà au sein de l’entreprise ?

[1] En réalité de se débarasser des anciens qui coûtent dit-on plus cher.

[2] Notamment des plus de 50 ans

[3] Un licenciement abusif est l’acte socialement et économiquement anormal parce que non fondé sur des motifs réels et sérieux liés à l'aptitude ou à la conduite du salarié ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service. Il est abusif lorsqu’il est sans lien avec la réorganisation ou la restructuration et ne constitue qu’un prétexte ou est exercé avec légèreté blâmable.

[4] Le dedommagement correspond à la période de référence (période qui aurait raisonnablement dû suffire pour permettre au salarié de trouver un nouvel emploi à peu près équivalent, le salarié licencié étant en effet censé faire tous les efforts nécessaires pour se procurer un emploi de remplacement) plus l’indemnisation du préjudice futur, mais certain, correspondant à la différence de salaire jusqu’à l’âge de la retraite.

[5] CSJ, 8e, 9 juin 2011, 34256.

[6] CSJ, 8e, 8 octobre 2015, 40167.

[7] CSJ, 8e, 10 juillet 2014, 38968.

[8] CSJ, 8e, 9 février 2015, 40652 et 40663.

[9] CSJ, 7 décembre 2006, 29627 et 29629.

[10] CSJ, 3e, 3 mai 2012, 37556.

[11] Pour rappel les critères pour obtenir le droit de former des apprentis sont les suivants (entreprise établie au Luxembourg et enregistrée dans le secteur commercial, industriel, agricole ou artisanal ; expérience professionnelle minimale de 3 ans dans la profession concernée ; le métier ou la profession doit figurer dans le règlement grand-ducal déterminant les professions et métiers dans le cadre de la formation professionnelle. L'organisme de formation peut bénéficier d'une aide de promotion de l'apprentissage d'un montant entre 27 % et 40 % de l'indemnité d'apprentissage versée à l'apprenti ; du remboursement de la part patronale des charges sociales se rapportant à l'indemnité d'apprentissage.

[12] Soit actuellement 23.983,08.- euros

[13] Le Fonds pour l’Emploi

[14] Le remboursement des indemnités de chômage vient pour rappel en déduction des indemnités allouées par le tribunal.

[15] Notamment les mesures en faveur de l'emploi permettent aux demandeurs d'emploi d'intégrer ou de réintégrer le marché de l'emploi (tel que le contrat de réinsertion-emploi), les mesures de maintien de l’emploi (aides financieres tel qu’au reemploi, a la creation d’entreprise) et le plan de maintien de l’emploi qui oblige notamment les entreprises occupant plus de 150 salariés à établir un plan des âges adapté à l’entreprise et ce en vue de favoriser le maintien dans l’emploi des salariés "seniors".

[16] Pendant la période de. Le remboursement est limité à 250 % du salaire social minimum. L'entreprise reste redevable des charges sociales et des salaires se rapportant aux heures travaillées.

[17] Les mesures envisagées sont les suivantes:

Anticipation de l'évolution des carrières professionnelles
Amélioration des conditions de travail et prévention des situations de travail difficiles avec un potentiel de séquelles sur le plan de la santé
Mise en oeuvre de mesures préventives pour la santé
Développement des compétences et des qualifications et accès à la formation
Aménagement des fins de carrière et de la transition entre activité et retraite
Transmission des savoirs et des compétences et développement du tutorat.

dotted_texture