19/06/19

L'instauration d’un mécanisme de règlement des différends fiscaux bientôt en vigueur

Le 11 avril 2019, M. Pierre Gramegna, Ministre des Finances, a déposé le projet de loi n°7431 à la chambre des Députés qui vise à transposer en droit national la Directive (UE) n°2017/1852 du Conseil du 10 octobre 2017 concernant les mécanismes de règlement des différends fiscaux dans l’Union européenne1 (le « Projet »).

La mise en place d’une procédure de règlement des différends plus efficace s’est avérée nécessaire au sein de l’Union européenne. En effet, le nombre de situation de double imposition est susceptible d’augmenter dans les années à venir, et par ailleurs d’importantes lacunes, notamment en ce qui concerne l’accès à la procédure, sa durée ou encore sa conclusion effective, ont pu être identifiées dans le cadre des mécanismes existants (i.e. notamment les conventions prévoyant l’élimination de la double imposition (« DTT ») et la convention d’arbitrage de l’Union) laissant persister des situations de double imposition.

Le Projet a donc pour vocation à mettre en place, en droit luxembourgeois, une procédure de règlement de différends fiscaux concernant des différends qui pourraient survenir entre États membres de l’Union européenne en relation avec l’interprétation ou l’application divergente des accords et des DTTs conclus par le Luxembourg avec un ou plusieurs Etats membres de l’Union européenne et qui sont susceptibles d’aboutir à une double imposition dans le chef d’un contribuable résident.

1. Point de départ : la réclamation

Le Projet précise que toute personne concernée2 par une situation de double imposition au sens du Projet3 sera en droit d’introduire une réclamation4 auprès de l’Administration des Contributions Directes (« ACD ») concernant un différend5 pour en demander le règlement.

Cette réclamation devra être introduite (i) dans un délai de trois ans à compter de la réception de la première notification de la mesure qui entrainera le différend6 et (ii) simultanément auprès de toutes les autorités compétentes des États membres qui seront concernés par le différend. Une procédure simplifiée pour les particuliers et les petites et moyennes entreprises résidents du Luxembourg est toutefois prévue par le Projet. Celle-ci leur permettra de s’adresser uniquement à l’ACD, cette dernière sera alors en charge d’informer toutes les autres autorités compétentes qui seront concernées.

Une fois la réclamation introduite, l’ACD devra, dans un délai de deux mois, envoyer à la personne concernée un accusé de réception de la réclamation, ainsi que l’information des autorités compétentes des autres États membres concernés de la réception de la réclamation. Des informations complémentaires pourront être demandées par les autorités compétentes dans un délai de trois mois à compter de la réception de la réclamation, la personne concernée disposera à son tour du même délai pour communiquer les informations demandées par les autorités compétentes.

Dans un délai de six mois, l’ACD se prononcera sur l’admissibilité ou le rejet de la réclamation étant précisé que la réclamation sera réputée admise lorsqu’une autorité compétente n’aura pas pris une décision d’admissibilité ou de rejet de la réclamation dans le délai prémentionné. De sucroît, l’ACD pourra régler, dans le même délai, le différend sur une base unilatérale, ce qui aura pour conséquence de mettre fin à la procédure engagée au titre du mécanisme de règlement des différends tel que prévu par le Projet. Dans ces deux cas, l’ACD sera tenue d’en informer sans tarder les autorités compétentes des autres États membres concernés, ainsi que la personne concernée.

Le Projet fait état de trois raisons pour lesquelles une autorité compétente pourra rejeter une réclamation dans le délai de six mois, à savoir:

  • lorsque la réclamation ne contient pas les informations requises, ou lorsque la personne concernée ne fournit pas les informations spécifiques complémentaires demandées dans le délai requis,
  • en cas d’inexistence d’un différend, ou
  • lorsque le délai de trois ans prévu pour introduire la réclamation n’aura pas été respecté.

Au cas où l’ensemble des autorités compétentes des États concernés auraient rejeté la réclamation, la personne concernée pourra contester au Luxembourg la décision de rejet de l’autorité compétente du Luxembourg en introduisant, par ministère d’avocat à la cour, un recours en réformation devant le tribunal administratif, un appel devant la Cour administrative demeurera possible.

2. La procédure amiable

Une fois la réclamation considérée comme admise par l’ensemble des autorités compétentes concernées par le différend, ces dernières s’efforceront de résoudre le différend dans un délai de deux ans, prorogeable d’un an, à compter de la dernière notification de l’admission de la réclamation par une des autorités compétentes des États membres concernés.

En cas d’accord trouvé entre les autorités compétentes pour résoudre le différend, celui-ci sera mis en œuvre sous forme d’une décision contraignante pour l’ACD, à la double condition que la personne concernée accepte cette décision et qu’elle renonce au droit à toute autre voie de recours ou se désiste d’un recours déjà engagé7.

En l’absence d’un accord trouvé entre autorités compétentes dans le délai imposé (i.e. deux années), la personne concernée en sera informée, y compris sur les raisons pour lesquelles il n’a pas été possible de régler le différend en procédure amiable.

3. Le règlement du différend en commission consultative

Dans deux situations précisées dans le Projet, une personne concernée pourra solliciter la constitution d’une commission consultative8 auprès de l’ACD pour le règlement de son différend, à savoir :

  • lorsqu’une réclamation n’aura été admise que par une des autorités compétentes, mais pas par l’ensemble desdites autorités la commission consultative prendra ainsi une décision sur la recevabilité de sa réclamation; ou
  • pour résoudre le différend lorsque la réclamation aura fait l’objet d’une procédure amiable (voir II.) qui n’aura cependant pas abouti à un accord sur la manière de régler le différend dans le délai prévu.

La demande pour constituer une commission consultative devra être présentée dans un délai de cinquante jours à compter de :

  • la date de réception de la notification de rejet de la demande, ou
  • l’information sur l’absence d’un accord en procédure amiable, ou
  • la date du prononcé du jugement par les juridictions administratives (i.e. tribunal administratif ou le cas échéant Cour administrative) ou la juridiction ou l’organe judiciaire compétent de l’autre État membre concerné et statuant sur l’admissibilité de la réclamation.  

Dans ce contexte, il est important d’ajouter que l’accès au règlement du différend en commission consultative sera rejeté (i) tant que la décision de rejet de la réclamation n’aura pas encore acquis autorité de chose décidée, (ii) tant que la décision de rejet fera encore l’objet d’une procédure contentieuse devant les juridictions administratives ou (iii) lorsque la décision de rejet de la réclamation aura été définitivement confirmée par les juridictions administratives.

La commission consultative qui sera appelée à statuer sur l’admissibilité de la réclamation de la personne concernée devra le faire dans un délai de six mois à compter de la date de sa constitution, étant précisé que la commission consultative devra être constituée au plus tard cent vingt jours à compter de la date de réception de cette demande. La décision de la commission consultative s’agissant de l’admissibilité d’une réclamation sera notifiée aux autorités compétentes sous trente jours, lesquelles disposeront en cas d’admission de soixante jours pour demander l’ouverture d’une procédure amiable.

Il convient d’ajouter qu’en cas de carence d’une des autorités compétentes concernées à faire constituer une commission consultative ou à procéder à la nomination des personnalités indépendantes, une possibilité d’intervention judiciaire est prévue par le Projet. En effet, sur requête de la personne concernée, l’intervention du président du tribunal d’arrondissement est prévu pour:

  • constituer une commission consultative lorsque celle-ci n’aura pas été constituée dans le délai prévu (i.e. cent vingt jours à compter de la date de réception de la demande visant à statuer sur l’adminissibilité d’une réclamation) ;
  • nommer une personnalité indépendante et son suppléant lorsque l’ACD ne l’aura pas fait ;
  • nommer les deux personnalités indépendantes lorsque ni l’ACD, ni celles des autres États membres concernés n’auront pas procédé à une telle nomination.

A défaut de demande d’ouverture de la procédure amiable de la part des autorités compétentes dans un délai de soixante jours, le différend sera immédiatement transféré à la commission consultative qui émettra un avis sur la manière de régler le différend. L’avis de la commission consultative  sur la manière de régler le différend – pris à la majorité simple de ses membres – sera rendu dans un délai de six mois, prorogeable de trois mois, à compter de la date de sa constitution, étant précisé que la commission sera réputée avoir été constituée à la date d’expiration du délai précité de soixante jours. Cette avis sera fondé sur les dispositions de l’accord ou du DTT applicable, ainsi que sur toute autre règle nationale applicable.

Les autorités compétentes concernées devront trouver un accord sur la manière de régler le différend dans un délai six mois à compter de la notification de l’avis par la commission, elles pourront s’écarter de l’avis en se mettant d’accord sur la manière de régler le différend. Si elles ne parviennent pas à un accord sur la manière de régler le différend, elles seront liées par l’avis de la commission.

La décision définitive sera notifiée à la personne concernée et devra être mis en œuvre par l’ACD quels que soient les délais prévus par le droit luxembourgeois sous condition que la personne concernée accepte cette décision et se désiste ou renonce à toute voie de recours interne.

Dans le cas où l’ACD n’aura pas mis en œuvre la décision définitive, la personne concernée aura la possibilité de s’adresser au président du tribunal administratif afin de charger un commissaire spécial de mettre en œuvre la décision définitive, cela dans un délai de trois mois à partir de l’acceptation de la décision définitive par la personne concernée. Par dérogation aux règles de droit commun en matière de procédure devant les juridictions administratives, la procédure sera orale et l’ordonnance du président du tribunal administratif ne sera susceptible d’aucune voie de recours. La désignation du commissaire spécial dessaisira l’ACD.

4. L’exception : la commission de règlement alternatif des différends

Le Projet permet la constitution d’une commission de règlement alternatif des différends en lieu et place d’une commission consultative. Cette commission de règlement alternatif des différends diverge uniquement de la commission consultative en ce qu’elle pourra avoir un caractère permanent tout en restant plus flexible dans sa composition et sa forme par rapport à la commission consultative.

La commission de règlement alternatif des différends pourra à cet égard utiliser toute autre procédure ou technique de règlement des différends, dont notamment la procédure d’arbitrage de la « dernière offre », également connue sous le nom d’« arbitrage de la dernière meilleure offre », ce qui conférera une grande flexibilité aux autorités compétentes en leur permettant de choisir le type de procédure adéquat afin de régler le différend d’une manière contraignante.

5. Frais de procédure

Les frais suivants seront en principe répartis en parts égales entre les États membres concernés:

  • le défraiement des personnalités indépendantes pour un montant correspondant à la moyenne des montants habituellement remboursés aux hauts fonctionnaires des États membres concernés ;
  • la rémunération des personnalités indépendantes qui ne peut dépasser 1 000 euro par personne et par jour de réunion.

Toutefois, il importe de préciser que ces frais seront à la charge de la personne concernée si les autorités compétentes en conviennent ainsi lorsque (i) la personne concernée a retiré sa réclamation, ou (ii) la décision de rejet de la réclamation aura été confirmée par la commission consultative.

6. Publicité

A moins que les autorités compétentes concernées conviennent de publier dans leur intégralité les décisions définitives, les décisions définitives sont publiées en résumé. L’ACD communiquera à la Commission européenne les informations à publier. Dans l’hypothèse où soit une des autorités compétentes, soit la personne concernée ne consent pas à la publication en entier de la décision définitive, un résumé synthétique de la décision définitive sera publié sous forme anonyme.

7. Entrée en vigueur

La loi, une fois votée par le Parlement, s’appliquera à toute réclamation introduite à partir du 1er juillet 2019 qui portera sur des différends relatifs à des revenus ou à des capitaux se rapportant à un exercice fiscal commençant le 1er janvier 2018 ou après cette date.

8. Conclusion

Nonobstant les mécanismes déjà en place, les litiges internationaux portant sur des situations de double imposition ont toujours été complexes à résoudre pour les Etats concernés, tant en raison de la durée des procédures prévues par les mécanismes existants que de la difficulté pour les mettre en application.

Le Projet, bien que pouvant paraître peu clair de prime abord pour les non-juristes, a au moins le mérite d’apporter un cadre légal certain en vue de régler les futurs litiges portant sur des doubles impositions et devrait permettre de résoudre plus aisément, et dans une période de temps désormais encadrée, les situations de double imposition entre Etat membres de l’Union européenne.

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