19/03/20

Le panorama italien de la distribution d’assurances

Le processus de transposition de la Directive (UE) 2016/97 du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (ci-après la Directive IDD)1 s’est révélé extrêmement complexe pour le secteur de l’assurance sur le territoire italien. Le nombre des textes législatifs et réglementaires du secteur financier ainsi que du secteur d’assurance concernés par la réforme, témoignent de cette complexité.

Depuis fin 20062, cette complexité s’est reflétée notamment par une dualité de règles applicables à l’assurance de telle sorte que les devoirs d’information précontractuelle, les règles de conduite des intermédiaires d’assurance ainsi que les autorités de contrôle chargées de veiller à leur respect, relèvent  d’un côté, de la CONSOB, Autorité italienne de surveillance des marchés financiers, responsable de la réglementation des « produits financiers émis par des entreprises d’assurance3 » et du respect des règles de conduite des personnes autorisées à exercer l’intermédiation d’assurance4, et, d’un autre côté, de l’IVASS, Autorité italienne de surveillance du marché de l’assurance régulateur des produits d’assurance à taux garanti et « multiramo »5, chargée de veiller sur la conduite des intermédiaires d’assurances traditionnels, agents et courtiers.

Pour le législateur italien les travaux de transposition de la Directive IDD ont donc représenté l’opportunité de redéfinir et unifier le cadre réglementaire applicable aux produits d’assurance indépendamment du canal de distribution du produit d’assurance.

En raison de la nécessaire coordination des deux autorités de contrôle, la CONSOB et l’IVASS, ce processus a été exécuté en deux phases:

  • une première phase a apporté les changements les plus importants pendant l’été 20186;(I);
  • une deuxième phase est en cours de finalisation avec les dispositions les plus sensibles de la Directive IDD, à savoir; le devoir de conseil et le régime des inducements7;(II).

Les passages fondamentaux de cette réforme sont décrits ci-après et suivis de conclusions finales (III).

Première phase : les objectifs du Décret législatif du 21 mai 2018

Le Décret Législatif du 21 mai 2018 n° 68, portant transposition en droit italien de la Directive IDD (ci-après «D.Lgs.68/2018»), a apporté des modifications substantielles tant au Décret Législatif du 7 septembre 2005 (D.Lgs. 209/2005 intégré au Code des assurances privées, ci-après «CAP») qu’au Décret Législatif du 24 février 1998 (D.Lgs. 58/1998 instituant un texte Unique des dispositions en matière d’intermédiation financière, ci-après «TUF »).

Ces modifications concernent, d’une part, la suppression de la définition des «produits financiers émis par des entreprises d’assurance», visée à l’art. 1, alinéa 1, lettre w-bis), du TUF et, d’autre part, la réglementation de l’information précontractuelle prévue par le nouvel article 185 du CAP8.

i) Les IBIP en tant que catégorie unique de produits d’investissement

L’article 2, alinéa 1, lettre a) du D.Lgs. 68/2018 a modifié, notamment, l’ancienne définition des produits financiers émis par des entreprises d’assurance pour s’aligner sur la nouvelle notion européenne de « produits d’investissement fondés sur l’assurance », c’est-à-dire les IBIP (insurance based investment products).

La notion des IBIP9 a permis de recentrer sur une seule catégorie de produits d’assurance, en cohérence avec l’approche adoptée dans les actes législatifs européens (id est, Règlement UE n° 1286/2014 «PRIIPs»10, article 4, par. 1, n° 2 et ensuite Directive IDD, article 2, par. 1, n° 17), puis suivi par le législateur national italien à l’occasion de l’adaptation du TUF au Règlement UE n° 1286/2014 «PRIIPs».

ii) La phase pré-contractuelle d’information des IBIP

Les modifications du « Règlement Emetteurs »11 et du CAP ont rendu possible l’harmonisation des règles en matière d’informations précontractuelles12.

L’article 1er, alinéa 31 du D.Lgs. 68/2008 en modifiant l’article 185 du CAP, a prévu la rédaction, par les entreprises d’assurance, d’un document d’information précontractuelle standard de base, qui s’identifie au « KID » régi par le Règlement UE n° 1286/2014 « PRIIPs », et d’un document d’information précontractuel supplémentaire spécifique « DIP », dont le contenu doit être réglementé par l’IVASS.

Ce document additionnel doit contenir des informations autres que celles publicitaires et promotionnelles, complémentaires à celles contenues dans le « KID », afin de permettre une connaissance plus approfondie du produit d’assurance et de permettre au client de parvenir à une décision éclairée d’une part sur les droits et obligations contractuels et d’autre part sur la situation patrimoniale de l’entreprise d’assurances.

L’IVASS a exercé son pouvoir réglementaire que lui attribue l’art. 185, alinéa 4, du CAP, en adoptant le Règlement n° 41 du 2 août 2018, portant dispositions en matière d’information, de publicité et de réalisation des produits d’assurance.

iii) La simplification et la standardisation des informations aux clients

L’un des objectifs du D.Lgs. 68/2018 consiste dans la simplification13 et la standardisation des informations aux clients.

Toutefois, la quantité d’informations à fournir risque de détourner l’attention des clients et de décourager le lecteur de la prise de connaissance d’un volume excessif de documents, empêchant de ce fait d’attirer son attention sur les éléments essentiels du contrat rendant plus difficile la compréhension du candidat-preneur.

De plus, le manque de standardisation des documents empêcherait le client de comparer de manière pondérée les produits présents sur le marché.

À cet égard, le Règlement IVASS n° 41/2018 contient, dans ses annexes 1-7, les modèles de document d’information précontractuelle pour les produits d’assurance-vie, pour les produits d’assurance multirisques, pour les produits d’investissement fondés sur l’assurance, pour les produits d’assurance dommages, pour les produits d’assurance Responsabilité civile et automobile.

Le but est de garantir aux consommateurs une information adéquate, détaillée et transparente, et réaliser le principe du best interest du contractant.

iv) Application jurisprudentielle des principes de clarté et de transparence dans la rédaction des contrats d’assurance

Au lendemain de la publication par l’IVASS des résultats du groupe de travail sur les « Contrats simples et clairs »14, la question de la clarté et de la transparence des contrats d’assurance s’est montrée très délicate pour les opérateurs du secteur.

A fortiori, aujourd’hui elle revêt une importance cruciale en raison du fait que la jurisprudence italienne intervient pour sanctionner les contrats qui ne reflètent pas une application correcte des principes énoncés ci-dessus.

Ne pas s’adapter constitue une source de risque non négligeable, en terme non seulement de sanctions mais surtout d’opposabilité au client du contrat unilatéralement structuré par l’entreprise d’assurance.

À cet égard, la Cour de Cassation italienne a récemment soutenu avec insistance que l’incertitude ou l’ambiguïté du texte du contrat d’assurance ne peuvent pénaliser le souscripteur15.

De plus, selon la Cour de Cassation italienne, la violation de l’exigence formelle prescrite par l’art. 166, alinéa 2, CAP, notamment des  stipulations qui limitent la garantie, même si elles ne sont pas vexatoires, doivent en tout état de cause figurer avec des caractères particulièrement évidents, peut néanmoins conduire à l’inefficacité de la clause, au sens du premier alinéa de l’article 1341 du Code Civil italien16.

v) La révision des règles de conduite

Quant aux règles de conduite dans la distribution, les obligations relatives au comportement des distributeurs comportent de nouveaux principes17 et, notamment, celui d’équité, conduisant à l’appréciation et au juste équilibre des droits et obligations des parties.

L’équité remplace le concept traditionnel de diligence, en tant que critère d’évaluation de la bonne exécution des obligations prévu par l’article 1176 du Code Civil italien.

Deuxième phase de la transposition: le devoir de conseil et les inducements

Lors de la publication des trois règlements du 2 août 2018, l’IVASS n’a pas exercé intégralement les mandats qui lui avaient été confiés par le législateur, aux termes des articles 121-quater ss. du CAP.

En effet, c’est seulement le document IVASS 2/2019, portant modification aux Règlements n° 40 et n° 41 du 2 août 2018, qui complète la transposition italienne de la Directive IDD.

Le cadre règlementaire de la distribution des IBIP s’est ainsi enrichi d’une reformulation complète des modèles des documents d’information précontractuelle18 et des règles de conduite définies19.

Les IBIP sont soumis à une obligation de conseil, leur vente hors marché cible a été autorisée pour autant qu’elle soit motivée et signée par le candidat preneur, et, en revanche, leur vente est interdite en l’absence d’adéquation du produit aux exigences et besoins du client ou, encore, en cas de refus de ce dernier de fournir les informations nécessaires au suitability test20.

Les intermédiaires et les entreprises d’assurance ne peuvent pas payer ou percevoir un droit ou une commission, en lien avec la distribution d’assurance, sauf si:

le droit ou la commission a pour objet d’améliorer la qualité du service de distribution; et
cela ne nuit pas au respect de l’obligation d’agir d’une manière honnête, équitable et professionnelle au mieux des intérêts du client21.

Considérations finales

Il n'aura pas échappé à l'attention des professionnels du secteur que, dans la transposition de la Directive IDD, l’Italie a souvent opté pour les solutions les plus restrictives parmi celles offertes par la directive européenne.

Ce choix restrictif s’est concrétisé par l’adoption de nombreuses règles internes qui ont souvent conduit à des incohérences.

Par exemple, les inquiétudes issues du classement des polices d’assurance sans garantie entre les IBIP22, bien que dépourvues de structures financières  complexes, se sont multipliés et accrues.

Ce classement fait naître un écart important entre ces produits et d’autres produits financiers substantiellement similaires, tels que les fonds communs de placement, qui eux peuvent être vendus sans consultation obligatoire.

Sur ce point, il convient de noter que la loi de transposition italienne s’est encore écartée des autres pays européens en prévoyant, dans le cas de conseils obligatoires ou effectués à l’initiative du distributeur, que ceux-ci ne pèsent pas économiquement sur le client.

Cette interdiction de rémunération du conseil est apparue déraisonnable aux opérateurs du secteur au point qu’ils ont sollicité une remédiation sur le point de la part des autorités afin de résoudre l’écart entre les produits financiers pour lesquels l’activité de conseil est rémunérée et les produits d’assurance, par rapport auxquels, en l’absence de rémunération grevant directement la clientèle, des systèmes de rémunération différents peuvent se fonder, par exemple, sur les inducements reçus des entreprises.

Une autre lacune signalée est le fait que l’Italie n’a pas adopté pour le régime d’execution only qui, sur la base du règlement communautaire, lui permettait de déroger au filtre d’adéquation et de pertinence dans la vente de produits non complexes, alors qu’elle a utilisé cette catégorie pour définir les limites du conseil obligatoire.

Ces disparités et d’autres auront fait l’objet de la récente consultation publique IVASS – CONSOB23, visant à recueillir les observations des opérateurs du marché d’assurance et financier, banques, compagnies d’assurance, intermédiaires, mais aussi associations de consommateurs, sur les disciplines que chacune des autorités de contrôle était appelée à adopter sur la base de la répartition des compétences prévue par le cadre réglementaire en vigueur.

Reste à savoir si, et comment, en aval de la consultation publique, ces problèmes seront résolus par les autorités de contrôle.

Cet article a été précédemment publié dans AGEFI Luxembourg en mars 2020.

1. La Directive UE 2016/97 du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 a été adoptée en vue d’harmoniser les dispositions nationales en matière de distribution d’assurances et de réassurances selon les spécificités du marché et de l’ordre juridique de chaque État membre. L’exigence prioritaire de la Directive est en tout cas la protection du consommateur, protection qui commence dès la phase de conception d’un produit et qui implique l’ensemble du processus de vente et de distribution.

La Directive IDD est la deuxième directive en matière de distribution de produits d’assurance. La directive – 2002/92/CE - du Parlement européen et du Conseil du 9 décembre 2002 a initialement porté sur l’intermédiation en assurance en instaurant une obligation d’ immatriculation des intermédiaires, des conditions financières, d’honorabilité et de qualification minimales, en prescrivant des obligations d’information précontractuelle à fournir aux clients et précisant le cadre d’exercice  des activités transfrontalières en régime d’établissement ou en libre prestation de services d’intermédiaires.

2. Suite à l’entrée en vigueur de la loi 28 décembre 2005, n° 262 portant disposition en matière de protection de l’épargne et discipline des marchés financiers et du D.Lgs. 29 décembre 2006, n° 303 portant dispositions en matière de coordination des dispositions du Texte Unique Bancaire (Loi 28 décembre 2005, n° 262) et du Texte Unique des dispositions en matière d’intermédiation financière (D.Lgs. 24 février 1998 n° 58).

3. Les « produits financiers émis par des entreprises d’assurance » étaient identifiés par l’art. 1, alinéa 1, lettre w-bis), du TUF avec « les polices et opérations d’assurance-vie, « Ramo » III et V, ex art. 2, comma 1, du D.Lgs. 209/2005 ».

4. « Entités qualifiées à l’intermédiation en assurances » parmi lesquels les instituts de crédit et les sociétés d’intermédiation mobilières (SAIA).

5. Produits d’assurance qui combinent à la fois les produits d’assurance-vie à taux garanti (« Ramo » I) et ceux en unités de compte (« Ramo » III), ex art. 2, alinéa 1, du D.Lgs. 209/2005.

6. Deux mois après la publication du D.Lgs. 68/2018, l’IVASS a adopté trois Règlements, en matière de gouvernement d’entreprise, de distribution et d’information des produits d’assurance :

le Règlement n° 39 du 2 août 2018, portant la procédure d’application des sanctions administratives et les dispositions d’application visées au titre XVIII (Sanctions et procédures) du D.Lgs. 209/2005, puis modifié et complété par la mesure IVASS n° 86 du 14 mai 2019 ;

le Règlement n° 40 du 2 août 2018, portant dispositions en matière de distribution d’assurance et de réassurance visées au Titre IX du D.Lgs. 209/2005 ;

le Règlement n° 41 du 2 août 2018, portant dispositions en matière d’information, de publicité et de réalisation des produits d’assurance.

7. Le 23 septembre 2019 l’IVASS a publié le document de consultation n. 2/2019, en modifiant les Règlements n. 40 et 41. Simultanément l’IVASS a publié le document de consultation n. 1/2019 établissant des règles en matière de gouvernance et de contrôle de produits d’assurance.

8. Cf. le rapport illustratif 23 novembre 2018 de la CONSOB, « Modifications au Règlement Emetteurs sur l’offre de produits financiers au public émis par des entreprises d’assurance ».

9. Le produit d’investissement fondé sur l’assurance tel que défini par l’IDD (art. 2, par. 1, n. 17) et par le Règlement PRIIPs (art. 4, par. 1, n. 2) est un « produit d’assurance comportant une durée de vie ou une valeur de rachat qui est totalement ou partiellement exposée, de manière directe ou indirecte, aux fluctuations du marché ».

10. Le Règlement PRIIPS (produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance) a introduit un document obligatoire à partir du 1er janvier 2018 - « Key Information Document » (KID) -, contenant les informations clés à fournir aux investisseurs de détail lors de l’achat de PRIIP afin d’en faciliter la compréhension et la comparabilité. La CONSOB avait été désignée t l’autorité compétente pour recevoir la notification préalable du KID en ce qui concerne les PRIIPs, y compris les IBIP (ex art. 4-sexies, alinéa 2, lettre c) du TUF).

11. Le Règlement Consob n° 11971/1999 du 14 mai 1999, adopté en actuation du TUF et portant dispositions en matière d’émetteurs de produits financiers, a subi, pendant l’été 2018, la suppression du chapitre IV « dispositions concernant les produits financiers émis par des entreprises d’assurance ».

12. La dualité qui prévoyait, d’une part, la rédaction d’un prospectus d’information pour les produits financiers émis par les entreprises d’assurance et, d’autre part, la notice d’information pour les produits à taux garanti et les produits « multiramo » a été ainsi éliminée.

13. L’art. 166 du CAP prévoit que « le contrat et tout autre document remis par l’entreprise au contractant est rédigé de manière claire et exhaustive » et que « les clauses indiquant des déchéances ou des limitations des garanties ou charges supportés par le preneur d’assurance ou pour l’assuré » doivent être indiquées « par des caractères distinctifs ». Cette règle a été considérée comme une déclaration de principe et ignorée pendant longtemps, n’ayant pas été sanctionnée.

14. Cf. IVASS « Table de travail. Contrats simples et clairs » du 6 février 2018.

15. Cf. Cass. 9 juillet 2019 n° 18324 : « Le contrat d’assurance doit être rédigé de manière claire et compréhensible. Les clauses polyvalentes doivent être interprétées à l’aide des critères d’herméneutique contractuelle, en particulier celui de l’interprétation contre le prédisposant ». Dans le même sens, cf. ex plurimis Cass. 18 janvier 2016 n° 668 ; Cass. 17 janvier 2008, n° 866.

16. Cf. Cass. 11 juin 2019 n° 15598, déclarant l’inefficacité d’une clause de limitation de la garantie d’une police de R.C. (souscrite par une entreprise de construction) qui, non mise en évidence par des caractéristiques particulières, excluait la couverture des dommages causés par la pluie et/ou autres événements atmosphériques.

17. L’art. 119bis du CAP prévoit que « les distributeurs de produits d’assurance opèrent avec équité, honnêteté, professionnalisme, intégrité et transparence dans le meilleur intérêt de tous les preneurs ».

18. Cf. art. 56 ss. du Règlement IVASS 40/2018.

19. Cf. le nouveau chapitre II bis du Règlement IVASS 40/2018.

20. Cf. art. 58 du Règlement IVASS 40/2018.

21. Cf. art. 68-sexies ss. du Règlement IVASS 40/2018. Le régulateur italien, sur inspiration des critères issus de la réglementation déléguée MIFID II, a listé toute une série des conditions d’admissibilité des inducements.

22. Le classement des produits unit-linked parmi les produits complexes remontent à la Communication CONSOB du 22 décembre 2014 en matière de distribution des produits financiers complexes aux clients retail.

23. La consultation publique, dont la clôture était initialement prévue pour le 31 octobre 2019, a été prolongée jusqu’au 15 novembre 2019. De la fin de la consultation jusqu’au 31 décembre, les deux Autorités devaient élaborer le document final qui reprend les observations des opérateurs du secteur.

Comme l’a expliqué Monsieur Stefano De Polis, secrétaire général de l’IVASS, avec ce document « les produits d’investissement seront soumis à une seule discipline, indépendamment de quel soit le canal de la vente ».

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