24/01/23

Baux commerciaux : L’interdiction pour les locataires de réclamer aux-sous locataires des loyers supérieurs à ceux payés aux …

Pour rappel, d’après l’article 1762-6 (4) introduit dans le Code civil par une loi du 3 février 2018 :

« Sauf en cas de sous-location où des investissements spécifiques à l’activité du sous-locataire ont été effectués par le preneur, les loyers payés au preneur par le sous-locataire ne pourront être supérieurs aux loyers payés par le preneur au bailleur ».

Cette disposition dont le but était d’éviter les opérations spéculatives consistant à prendre en location des locaux commerciaux pour les sous-louer ensuite à des prix très nettement supérieurs, a rapidement suscité dans la pratique autant de problèmes que d’interrogations.

DSM a été chargée de représenter devant la Justice de Paix les intérêts d’un locataire auquel le sous-locataire réclamait, sur base du prédit article, le remboursement du différentiel entre le loyer payé par le locataire au propriétaire et le loyer appliqué par le locataire au sous-locataire.

Dans ce litige, DSM a notamment soulevé la question constitutionnelle suivante :

L’article 1762-6 (4) du Code civil est-il conforme à l’article 11 (6) de la Constitution du Grand-Duché de Luxembourg garantissant la liberté du commerce et de l’industrie ?

La Cour constitutionnelle a répondu par la négative dans un arrêt du 23 décembre 2022.

Pour fonder sa décision, la Cour constitutionnelle a tout d’abord rappelé que la liberté du commerce et de l’industrie couvre la liberté de fixer librement par voie conventionnelle les prix, et constaté que l’article litigieux apportait une restriction manifeste à pareille liberté.

La Cour constitutionnelle a cependant pris le soin de rappeler que toutes les restrictions à la liberté du commerce et de l’industrie ne sont pas prohibées, mais que pour être valables, elles doivent être rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but.

Tel qu’indiqué en amont, le but du législateur était en l’espèce de prévenir les opérations spéculatives, ce qui d’après la Cour constitutionnelle pouvait justifier l’intervention du législateur en la matière.

Toutefois, le plafonnement des loyers en cas de sous-location ne peut être une mesure rationnellement justifiée qu’à condition d’être adéquate et proportionnée à son but.
Or, la Cour constitutionnelle a suivi l’argument de DSM tendant au constat que la restriction posée par l’article 1762-6 (4) du Code civil ne permet à l’opérateur économique ayant pris en bail un local commercial ni de le donner en sous-location moyennant un prix de nature à couvrir ne serait-ce que ses frais d’exploitation relatifs à la sous-location, ni a fortiori de percevoir un bénéfice raisonnable tiré de la souslocation.

D’après la Cour constitutionnelle, le plafond du prix du contrat de sous-location imposé par l’article sous examen constitue partant une restriction disproportionnée à la liberté du commerce et de l’industrie garantie par la constitution.

La Cour constitutionnelle ajoute encore que la faculté laissée au bailleur secondaire d’obtenir un prix plus élevé s’il a opéré des investissements spécifiques à l’activité du sous-locataire n’est pas de nature à remédier à pareille disproportion, alors qu’il ne s’agit que

« d’une exception spécifique et limitée à la règle générale et absolue posée par la disposition légale sous examen qui n’est pas de nature à rétablir le juste équilibre entre les intérêts en présence ».

L’article 1762-6 (4) du Code civil n’est donc définitivement pas conforme à l’article 11 (6) de la Constitution du Grand-Duché de Luxembourg garantissant la liberté du commerce et de l’industrie.

ATTENTION : L’arrêt de la Cour constitutionnelle du 23 décembre 2022 n’emporte pas automatiquement la disparition de la norme déclarée inconstitutionnelle ! Le législateur devra partant intervenir afin de rétablir la conformité de la loi à la constitution. Par conséquent, si vous faites face à un litige similaire, il faudra donc plaider également l’inconstitutionnalité de pareille interdiction dans le cadre de votre affaire.

La Cour constitutionnelle a toutefois précisé que, pour le litige gisant à la base de son arrêt :

« en attendant une intervention réparatrice du législateur, l’équilibre entre le but légitime recherché par [l’article 1762-6 (4) du Code civil] et la liberté du commerce et de l’industrie est réalisé si le loyer du contrat de sous-location ne dépasse pas le loyer payé par le preneur au bailleur principal, majoré de ses frais d’exploitation relatifs à la souslocation et d’un bénéfice raisonnable ».

Au vu de l’importance de cet arrêt, DSM publiera prochainement une analyse plus détaillée de son impact pratique et des suites pouvant raisonnablement être attendues.

Vanessa LOMORO, Counsel – Avocat à la Cour.

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