20/05/20

Avez-vous déjà pensé à concéder une emphytéose ou un droit de superficie sur votre terrain plutôt que de le céder ?

Le territoire du Grand-Duché étant exigu et la pression démographique, forte, la valeur des terrains augmente rapidement.

L’augmentation des prix ne concerne pas seulement les terrains constructibles, mais également les terrains en zone verte, ne serait-ce que pour permettre des mesures de compensation écologique à des projets qui détruisent des biotopes.

La rareté des terrains empêche également un bon développement des constructions, la valeur des terrains prenant une part de plus en plus importante dans l’investissement.

Les propriétaires de terrains se demandent ainsi de plus en plus souvent s’ils veulent vendre ce patrimoine précieux. En face, se trouvent les investisseurs privés ou professionnels qui doivent disposer de terrains pour leurs projets immobiliers.

L’emphytéose et la superficie sont des instruments juridiques qui permettent à des propriétaires de mettre à disposition leurs terrains sur le long terme sans en céder la propriété. Les investisseurs privés et professionnels peuvent alors réduire le coût du terrain dans le projet.

Historiquement, les syndicats de communes ont été parmi les premiers à utiliser le droit de superficie pour le développement de zones d’activités artisanales, tandis que le Fonds du Logement a mis sur le marché des unités d’habitation cédées en emphytéose.

Dans le projet immobilier « Royal-Hamilius » de construction d’un quartier commercial/résidentiel et d’un centre d’affaires, la Ville de Luxembourg a signé un contrat d’emphytéose pour une durée de 75 ans avec les sociétés en charge du projet. Cela permet à la Ville de « garder la main sur ce cœur du centre-ville » indique un porte-parole de la commune, tout en permettant sa valorisation.

Les terrains sur lesquels sont construits les immeubles du projet « INFINITY » au Kirchberg sont également pris en emphytéose par les investisseurs.

L’emphytéose et le droit de superficie sont aussi à la disposition des propriétaires privés pour la gestion de leur patrimoine.

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Après la loi du 10 janvier 1824, l’emphytéose et le droit du superficie ont été modifiés et modernisés en droit luxembourgeois par la loi modifiée du 22 octobre 2008 dite « Pacte Logement ».

Les deux instruments sont des contrats par lesquels un propriétaire met à disposition d’un bénéficiaire un immeuble (terrain bâti ou non) lui appartenant, moyennant paiement d’une redevance ou d’une contribution à convenir, et sur lequel le bénéficiaire pourra ériger des constructions.

Ils se distinguent toutefois principalement au moment de la fin du contrat. En effet, alors que dans le cas de l’emphytéose, les constructions réalisées par l’emphytéote reviennent, en principe, au propriétaire sans contrepartie, dans le cas du droit de superficie, ces mêmes constructions reviennent au propriétaire avec paiement d’une contrepartie correspondant à la valeur actuelle desdites constructions.

Les deux contrats ressemblent, pour le non-juriste, à un contrat de location : le bénéficiaire dispose de la jouissance d’un bien en contrepartie du paiement d’une redevance. A la différence d’un contrat de location, l’emphytéose et le droit du superficie sont néanmoins prévus pour des durées longues et permettent au bénéficiaire d’exercer, pendant toute l’exécution du contrat, les droits d’un propriétaire, comme par exemple construire des immeubles et donner le terrain en hypothèque.

Pourquoi le propriétaire d’un terrain préférerait-il donner celui-ci en emphytéose ou céder un droit de superficie plutôt que de consentir un bail ou une vente immobilière ?

Le bail n’est pas une alternative à l’emphytéose ou à la superficie.

Sa durée est moindre et surtout, le propriétaire doit financer, construire et gérer seul l’immeuble.

Les rédacteurs de la loi précitée de 2008 ont souligné les avantages du régime de l’emphytéose pour le propriétaire d’un immeuble :

« Le propriétaire du terrain en garde la propriété et profitera donc in fine des éventuels accroissements de valeur de celui-ci. Ce mécanisme lui permet également de percevoir un revenu régulier, assuré sur le long terme. Il lui est en outre possible de prévoir dans l’acte constitutif que l’emphytéote s’oblige à ériger l’un ou l’autre ouvrage. Le propriétaire, sans avoir eu à financer ces constructions, en profitera néanmoins au terme du contrat » (Travaux parlementaires, n°5696, exposé des motifs, p.5).

Il nous faut toutefois compléter ces propos et les nuancer.

Le premier avantage de l’emphytéose pour le propriétaire est de ne pas avoir à se séparer définitivement de son terrain. Au bout d’une période, certes longue mais définie à l’avance, le propriétaire (ou souvent ses héritiers) récupère l’entière propriété du terrain. Il profite de ce fait aussi de l’augmentation de sa valeur soit pour une vente, soit pour une nouvelle emphytéose ou superficie.

Le propriétaire a également l’avantage d’encaisser une redevance qui lui est garantie sur le long terme et qu’il peut faire indexer. Il n’a pas à s’occuper de l’entretien du terrain, il ne doit pas investir lui-même, ni construire, ni gérer le terrain et l’immeuble construit.

Pour bien des propriétaires, la propriété foncière est un poids qui pèse lourd. D’aucuns sentent que la propriété foncière, dans un pays où les habitations manquent, appelle une certaine obligation morale de construire et de mettre les terrains à disposition du marché. Concéder une emphytéose ou un droit de superficie permet ainsi de « déléguer » cette obligation.

Le fait pour le propriétaire de récupérer les constructions faites sur le terrain au terme du contrat doit toutefois être considéré de façon nuancée.

Les constructions modernes ont des cycles de vie qui sont souvent en deçà de la durée usuelle des contrats de superficie ou d’emphytéose, notamment en raison des éléments techniques qui deviennent une part de plus en plus importante des investissements.

On constate, dès lors, que les points les plus difficiles à négocier entre le propriétaire et le bénéficiaire sont souvent les obligations d’entretien des immeubles, les mécanismes de restitution et les éventuelles compensations financières en fin de contrat.

Pourquoi un bénéficiaire préférerait-il se voir concéder une emphytéose ou un droit de superficie plutôt qu’un bail, voire une vente immobilière ?

Comme exposé antérieurement, le bail n’est pas une alternative à l’emphytéose ou à la superficie.

Le bénéficiaire d’un bail prend, effectivement, en location un bien sur une durée trop courte pour permettre un investissement immobilier consistant. L’immeuble pris en bail ne peut également pas être hypothéqué par le bénéficiaire. Un bail se conclut donc sur un immeuble construit et géré par le propriétaire ou son property manager.

A l’inverse, l’emphytéose et la superficie peuvent se présenter comme une alternative à l’achat d’un terrain. Elles permettent au bénéficiaire de se comporter en propriétaire pendant toute la durée du contrat, celui-ci pouvant construire sur le terrain, financer les constructions par un prêt hypothécaire et utiliser ou gérer ces constructions.

L’investissement initial pour acquérir le terrain est moindre. Le propriétaire récupérant le bien à la fin du contrat, le bénéficiaire lui paie, en effet, généralement un montant inférieur à sa valeur sur le marché de la vente immobilière.

Les modalités financières que le bénéficiaire peut convenir avec le propriétaire sont multiples et permettent au bénéficiaire une gestion plus flexible de ses finances. Dans certains cas, les parties prévoient un paiement plus important en début de contrat, puis des redevances modestes. Parfois, il n’y a pas de paiement en début de contrat, mais seulement des redevances importantes par la suite.

Le montant de la redevance est également fonction des obligations du bénéficiaire en fin de contrat : plus la fin de contrat est onéreuse en terme de qualité des constructions à céder ou d’enlèvement des constructions, plus le bénéficiaire veillera à adapter la redevance.

Ainsi, la redevance proposée au propriétaire est le résultat d’un calcul financier sur le long terme et un investisseur qui maîtrise bien son projet peut tirer d’une telle constellation un chiffre d’affaires aussi intéressant qu’en cas d’achat du terrain.

Finalement, au vu du fait que les terrains offerts en vente sont rares, l’investisseur peut espérer convaincre des propriétaires qui ne sont pas prêts à vendre et alors trouver de nouvelles opportunités.

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En conclusion :

  • L’emphytéose et le droit de superficie peuvent être des instruments juridiques très intéressants pour des propriétaires privés de terrains en vue de valoriser ces derniers sans en perdre définitivement la propriété.
     
  • Les parties ont beaucoup de liberté pour définir leur relation contractuelle, pourvu qu’elles respectent la nature des contrats.
     
  • Le revers de la médaille d’une telle liberté est que les parties doivent veiller à bien rédiger leur contrat car elles s’engagent pour les générations suivantes mais, à bien y réfléchir, l’engagement est moindre que si elles décidaient d’une vente où le terrain sort définitivement du patrimoine du propriétaire.
     
  • Le métier de l’avocat étant de connaître les constellations possibles et de pouvoir proposer des contrats faits sur mesure, les parties ne doivent pas nécessairement prendre chacune un conseil. Un avocat commun peut avoir la mission de conseiller, en toute transparence, les deux parties au meilleur de leurs intérêts respectifs.
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