19/01/18

Adoption de la loi portant sur le bail commercial et modifiant certaines dispositions du Code civil

En date du 17 janvier 2018, la Chambre des députés a voté la loi portant sur le bail commercial et modifiant le Code civil, dont le projet avait été déposé en date du 3 septembre 2015 par Monsieur le Ministre de l’Economie.

Jusqu’à présent, au Grand-Duché de Luxembourg le bail commercial était essentiellement fondé sur la liberté contractuelle voulue par le Code civil, ainsi que sur les articles 1762-3 à 1762-8 du Code civil, insérés par le biais d’un arrêté grand-ducal du 31 octobre 1936 destiné à protéger le fonds de commerce.

La réglementation du bail commercial au Grand-Duché de Luxembourg datait donc de plus de trois-quarts de siècle alors que nos voisins avaient adopté depuis longue date un régime cohérent de bail commercial. Les nouvelles dispositions applicables en la matière changent un certain nombre de dispositions en matière de bail commercial et la situation du preneur se trouve renforcée.

D’un point de vue formel il ne s’agissait pas pour le législateur de créer une loi spéciale de nature à réglementer les baux commerciaux, mais d’introduire dans le Code civil lui-même la réglementation y afférente.
Nous exposerons les éléments les plus significatifs de la réforme.

I. La délimitation du champ d’application des règles particulières aux baux commerciaux

L’article 1762-3 du Code civil délimite le champ d’application des règles particulières aux baux commerciaux, ce qui devrait mettre fin à certaines imprécisions de la législation antérieurement en vigueur et clarifier quels types de baux sont soumis aux règles particulières du bail commercial.

Aux termes de l’article 1762-3 du Code civil, est commercial tout bail d’un immeuble destiné à l’exercice d’une activité commerciale, industrielle ou artisanale.

Il ressort des travaux parlementaires de la loi que les baux commerciaux situés dans des centres commerciaux tombent dans le champ d’application de l’article 1762-3 du Code civil. Il en est de même des stations d’essence et des débits de boissons. Par contre, les espaces de bureaux partagés, les zones industrielles, les locaux affectés à l’exercice d’une profession libérale ne sont pas visés par les dispositions portant sur le bail commercial.

Certaines activités à cheval entre profession libérale et activité commercial pourront cependant être considérées comme tombant sous le champ d’application de la réglementation en matière de bail commercial. Il en est ainsi des agences bancaires et d’assurances ayant pignon sur rue, sauf si leur activité se concentre manifestement sur le volet administratif.

Les règles particulières aux baux commerciaux ne sont pas non plus applicables aux contrats de bail d’une durée inférieure à un an, ceci afin de tenir compte de l’émergence de nouvelles tendances comme les magasins éphémères (pop-up stores).

II. La durée du bail commercial

L’article 1762-4 du Code civil traite de la durée du bail commercial.

Initialement, le projet de loi prévoyait que le contrat de bail commercial serait toujours conclu pour une durée déterminée, ou pour trois ans si aucun délai n’était prévu.

Toutefois, en tenant compte des observations du Conseil d’Etat et des chambres professionnelles, une plus grande liberté contractuelle a été préservée et il a finalement été retenu que le contrat de bail commercial peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée.

Par ailleurs, il a été prévu que sans indication de terme, le contrat sera d’office d’une durée indéterminée, ce qui finalement est le maintien de la règle antérieure.

III. La résiliation anticipée du contrat de bail commercial

Initialement, le projet de loi prévoyait que le preneur lorsqu’il se trouve, sans comportement fautif ou négligeant de sa part, dans une situation financière désespérée telle que la poursuite de son activité provoquerait inévitablement sa faillite à court terme, aurait la faculté de résilier le contrat de bail à tout moment avec un préavis de trois mois.

Cette idée innovante permettant au preneur, sous certaines conditions, de se désengager des obligations contractuelles à l’égard de son bailleur, alors même qu’aucune échéance contractuelle n’est proche, a finalement été abandonnée à la suite de l’opposition formelle du Conseil d’Etat et de nombreuses autres critiques.

IV. Le délai de résiliation et la tacite reconduction

L’article 1762-7 du Code civil traite de la résiliation du contrat de bail et de sa tacite reconduction.

A- Délai de résiliation

Le paragraphe 1er de l’article 1762-7 fixe le délai de résiliation à six mois au minimum.

En ce qui concerne la forme de la résiliation, alors que le projet de loi prévoyait dans sa version initiale que la résiliation devait être portée à la connaissance de l’autre partie par tout moyen écrit ou électronique, c’est finalement la notification par lettre recommandée à la poste avec avis de réception qui a été retenue.

Le délai de résiliation a été fixé à six mois dans l’intérêt des deux parties, ceci afin de permettre au commerçant de réorganiser son commerce et au bailleur de retrouver un repreneur. Au demeurant, ce délai de six mois est dans le fil de la jurisprudence suivant laquelle, en l’absence d’une stipulation écrite, le délai pour donner congé est fixé par les usages des lieux en matière commerciale et qu’il est d’usage constant de dénoncer le bail six mois avant l’expiration de son terme.

B- Tacite reconduction

Le deuxième paragraphe de l’article 1762-7 prévoit que le bail est tacitement reconduit pour une durée indéterminée si le preneur est laissé en possession des lieux.

Dans le projet de loi initial il était prévu que le contrat de bail se poursuive pas tacite reconduction pour une durée déterminée de trois ans. Mais, comme la faculté d’opter pour un bail à durée indéterminée a été retenue, il a finalement semblé plus judicieux pour les rédacteurs du projet de loi de remplacer, en cas de tacite reconduction, la durée initialement prévue de trois années par une durée indéterminée, qui correspond, en outre, d’avantage à l’esprit de la tacite reconduction.

V. L’abandon du sursis commercial au profit du sursis à déguerpissement

L’ancien article 1762-8 du Code civil prévoyait la faculté pour le preneur commerçant, industriel, artisan ou fermier, dont le bail venait à cesser, de demander auprès du juge de paix deux sursis successifs, chacun de six mois maximum. Ce procédé du sursis commercial (le contrat est arrivé à échéance, mais il est prorogé) a été supprimé et a été remplacé par un sursis à déguerpissement (le preneur a été condamné à quitter les lieux, mais bénéficie d’un délai pour partir).

Dorénavant, l’article 1762-9 du Code civil prévoit que le tribunal peut accorder un sursis unique de 1 à 9 mois sans prorogation ni appel possible, à l’exécution de l’ordonnance de déguerpissement, pour autant que tous les loyers et avances sur charges échus ont été réglés au jour de l’introduction de la demande. Le texte précise que le sursis est accordé dans le but de permettre au requérant de trouver un autre immeuble en vue de poursuivre son activité et de répondre à ses obligations découlant des contrats de travail.

Il s’agit là d’une réelle évolution par rapport à l’ancienne législation puisque le sursis mis en place a uniquement vocation à s’appliquer à la suite de la résiliation judiciaire du contrat de bail, dont la conséquence est le déguerpissement. Comme le sursis commercial tel que le droit luxembourgeois le connaissait antérieurement a été abrogé, le preneur qui voit son contrat résilié à l’échéance fixée dans le contrat ne pourra plus demander le bénéfice de deux sursis comme il pouvait le faire dans le passé.

VI. Le renouvellement préférentiel et l’indemnité d’éviction

A- Le renforcement du droit au renouvellement du bail pour le locataire

Autrefois, sauf dans certaines circonstances limitativement prévues, tout locataire d’un immeuble à destination commerciale qui y exploitait un fonds de commerce avait le droit d’obtenir le renouvellement de son contrat de bail par préférence à toute autre personne. Ce droit au renouvellement préférentiel, permettant au preneur d’exiger à l’échéance de son contrat de bail commercial la reconduction de celui-ci était accordé à partir de la troisième année d’exploitation effectives du fonds de commerce et jusqu’à la quinzième année de location.

Par conséquent, après une période d’exploitation de quinze années, le locataire se voyait dépourvu de toute protection et pouvait donc se voir refuser le renouvellement de son bail sans aucune explication.

Les nouvelles dispositions prévues à l’article 1762-10 du Code civil modifient sensiblement les dispositions relatives au renouvellement préférentiel du contrat de bail.

Désormais, le preneur dispose d’un droit au renouvellement absolu pendant une période de neuf années. La demande devra être formulée auprès du bailleur au moins six mois avant l’expiration du contrat de bail.

B - Les motifs de refus du renouvellement préférentiel

Le droit au renouvellement préférentiel n’étant pas absolu, l’article 1762-11 du Code civil énumère les motifs légitimes qui permettent à un bailleur de refuser en toutes circonstances le renouvellement.

Ainsi, le renouvellement pourra être refusé aux mêmes motifs que ceux qui étaient prévus sous la législation antérieure :

  • en cas d’inexécution des obligations contractuelles du preneur
  • aux fins d’occupation personnelle par le bailleur ou par ses descendants au premier degré
  • en cas d’abandon de toute location aux fins d’activité identique
  • en cas de reconstruction ou de transformation de l’immeuble loué.

C - L’indemnité d’éviction

L’article 1762-12 du Code civil prévoit qu’après neuf années d’occupation des lieux loués, le bailleur pourra toujours refuser le renouvellement à son locataire sans devoir fournir de justification :

  • si le bailleur verse, avant la fin du bail au preneur une indemnité d’éviction, ou
  • si un tiers verse l’indemnité d’éviction avant la fin du bail.

Le principe du paiement d’une indemnité d’éviction au preneur, pratique connue et approuvée depuis longtemps en France et en Belgique, est une innovation fondamentale au Grand-Duché de Luxembourg. Le preneur aura droit à une indemnité d’éviction afin de le dédommager pour la perte de son fonds de commerce si le bail n’est pas prorogé.

L’article 1762-12 du Code civil confie aux parties de convenir dans le contrat du montant de l’indemnité d’éviction ou des modalités permettant de déterminer ce montant. A défaut, les parties peuvent saisir le juge de paix qui fixera le montant de l’indemnité d’éviction sur base de la valeur marchande du fonds de commerce.

Le principe et le montant de l’indemnité d’éviction a fait débat tout au long de la discussion de la nouvelle loi. En effet, le montant initialement prévu de l’indemnité équivalait à douze mois de loyer au moins, ce qui pouvait paraître exorbitant. Le texte a finalement été remanié. Comme protection essentielle du preneur le principe d’une indemnité d’éviction a été maintenu, mais le montant minimal correspondant à douze mois de loyers a finalement été écarté.

VII. Les clauses contractuelles

A - L’interdiction de la pratique du « pas de porte »

Le premier paragraphe de l’article 1762-5 du Code civil interdit le paiement d’un « pas-de-porte ». L’interdiction des « pas-de-porte » constituait l’une des mesures phares du projet de loi visant à interdire une pratique ayant conduit à certains abus. En effet, le « pas de porte » était devenu une forme de complément de loyer, généralement caché, que le bailleur exigeait de la part du nouveau locataire, une fois que l’ancien était parti.

Dorénavant, tout supplément de loyer payé au bailleur ou à l’intermédiaire est nul de plein droit. Cela signifie qu’en cas de paiement d’un « pas-de-porte » malgré cette interdiction, le droit commun jouera pour le remboursement de la somme versée.

Le deuxième paragraphe de l’article 1762-5 du Code civil interdit le mandat exclusif donné à un intermédiaire en prévoyant expressément qu’une clause de ce type est nulle de plein droit. Cette disposition a pour but d’empêcher qu’une clause prévoyant un mandat exclusif soit insérée au contrat par le bailleur et que ce dernier ne perçoive une rétro-commission de la part de l’intermédiaire exclusif ainsi imposé.

B - L’encadrement de la garantie locative

L’article 1762-5 troisième paragraphe fixe à six mois de loyer le plafond de la garantie locative, ce qui est généralement l’usage en la matière. Initialement, la limitation prévue était de trois mois de loyer, mais, reconnaissant le besoin légitime du bailleur de se protéger, ainsi que le risque de voir les bailleurs ne choisir, le cas échéant, que les preneurs les plus solides, au détriment des autres, la Commission de l’Economie a décidé de ne pas suivre les auteurs du projet de loi sur ce point.

Par ailleurs, il est prévu que le bailleur ne pourra refuser une garantie locative fournie sous forme d’une garantie bancaire à première demande ou de la souscription de toute assurance ou de toute autre garantie. Une telle disposition permet ainsi de consacrer une pratique ayant tendance à se développer et permettant aux commerçants venant à s’établir de ménager leur trésorerie en n’immobilisant pas nécessairement des sommes trop importantes au titre de garanties.

C - Les modifications contractuelles

Le projet de loi souhaitait aménager la possibilité d’adapter le contrat commercial en cours. Il était ainsi prévu que les parties puissent convenir de ce que certaines modalités du contrat de bail soient modifiées à des dates déterminées au cours du bail ou au cours de ses prolongations ou renouvellements.

Cette proposition a finalement été retirée suite à une opposition formelle du Conseil d’Etat alors que le droit commun permet aux parties de convenir une telle adaptation sans que la loi le prévoie expressément.

D - La cession et la sous location

L’article 1762-6 du Code civil prohibe dans le contrat de bail les clauses ayant pour objet d’interdire la cession d’un bail ou la sous-location de l’immeuble.

La sous-location ou la cession doivent être notifiées au bailleur principal qui a la possibilité de refuser son agrément sur base de justes motifs dans un délai de trente jours. Dans les huit jours de ce refus le preneur peut saisir le juge de paix.

L’article 1762-6 a clairement pour objectif de supprimer la sous-location spéculative, à savoir la pratique consistant pour le preneur à sous-louer l’immeuble pour un montant plus élevé.

Mais, ainsi que l’avait relevé la Commission de l’Economie, il existe des situations de sous-location majorées parfaitement légitimes, notamment en présence de contrat de livraison de bière ou de carburants, où le preneur principal a effectué des investissements que le propriétaire ne pouvait pas ou ne voulait pas réaliser, et qui profitent aux sous-locataires. Dans ces cas, l’interdiction de majorer le loyer n’est non seulement plus justifiée au regard de l’objectif poursuivi, mais encore contre-productive puisqu’elle découragerait les investissements pourtant nécessaires en vue de l’exploitation de l’immeuble.

Dans cette optique, le texte prévoit que les loyers payés au preneur par le sous-locataire dans le cadre d’une sous-location ne pourront être supérieurs aux loyers payés par le preneur au bailleur, sauf en cas de sous-location où des investissements spécifiques à l’activité du sous-locataire ont été effectués. Dans la pratique, la notion d’« investissements spécifiques » risque toutefois de poser des difficultés.

VIII. Le droit de préemption en cas de vente de l’immeuble loué

L’article 1762-13 du Code civil innove en instaurant un droit de préemption en faveur du preneur de longue durée d’un immeuble, dont le bail court depuis dix-huit ans, à moins que les locaux loués fassent l’objet d’une vente par adjudication ou soient cédés à un membre de la famille du bailleur, parent ou allié jusqu’au troisième degré inclusivement ou soient l’objet d’une cession gratuite.

Jusqu’à présent, un tel droit de préemption existait seulement pour le locataire d’un immeuble d’habitation, mais il était possible aux parties liées par un contrat de bail commercial de prévoir à titre conventionnel un droit de préemption.

A noter que la procédure d’exercice de ce droit de préemption est similaire à celle applicable dans le cas d’un bail d’habitation. Le bailleur doit adresser l’offre de vente par lettre recommandée au locataire en l’informant qu’il peut faire une contre-proposition. Le locataire à un mois pour répondre ; en cas de non-réponse il est supposé avoir refusé l’offre. En cas de demande de l’obtention d’un prêt pour l’achat du bien loué, le locataire dispose d’un mois supplémentaire. Le propriétaire pourra vendre le logement à un tiers, mais seulement à un prix supérieur offert par le locataire.

Si le propriétaire vend le logement à un tiers en violation du droit de préemption du locataire, la vente reste valable, mais le locataire pourra lui réclamer des dommages-intérêts qui ne peuvent être inférieurs à une année de loyer. Les dommage-intérêts peuvent être plus importants si le locataire arrive à prouver un préjudice plus important que le minimum prévu par la loi.

IX. L’applicabilité dans le temps des nouvelles dispositions en matière de bail commercial

Il a été prévu que les nouvelles dispositions en matière de bail commercial s’appliquent immédiatement aux baux en cours à compter de son entrée en vigueur. Deux exceptions toutefois à ce principe ont été prévues :

  • l’article 1762-5, paragraphe 1er, du Code civil, qui interdit dorénavant la pratique des « pas de porte », n’est pas applicable aux contrats dont l’entrée en jouissance pour le preneur est fixée avant l’entrée en vigueur de la loi. En la matière le législateur n’a pas voulu revenir sur des situations qui n’avaient pas été interdites par la loi jusqu’à présent.
  • l’article 1762-6, paragraphe 4, du Code civil, qui interdit au preneur de sous-louer l’immeuble pour un montant plus élevé, ne prendra effet que douze mois après l’entrée en vigueur de la loi afin de permettre aux preneurs de mettre leurs contrats de sous-location en conformité avec les nouvelles dispositions en la matière.
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