24/01/18

Registres luxembourgeois des bénéficiaires effectifs et des fiducies : bientôt une réalité !

Le 6 décembre 2017, deux projets de loi visant à transposer les articles 30 et 31 de la directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme (« 4ème directive anti-blanchiment ») ont été déposés à la Chambre des députés.

Ces deux projets de loi visent à mettre en place au Luxembourg deux registres dont la finalité est de conserver et de mettre à disposition les informations relatives aux bénéficiaires effectifs des entités et fiducies luxembourgeoises.

La notion de bénéficiaire effectif est identique à celle mentionnée dans la loi du 12 novembre 2004  relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme (« Loi anti-blanchiment »). Il y a, néanmoins, lieu de souligner que cette dernière devrait être prochainement modifiée suite à l’entrée en vigueur de la loi visée par le projet de loi  n°7128 (voir notre alerte à ce sujet).

1. Registre des bénéficiaires effectifs (Projet de loi n° 7217)

Les entités luxembourgeoises seront tenues, sous peine de se voir infliger des amendes pénales pouvant atteindre 1.250.000 euros :

  • d’obtenir et de conserver, au lieu de leur siège, des informations sur leurs bénéficiaires effectifs (conservation à assurer pendant 5 ans après la date à laquelle l’entité est dissoute ou cesse d’exister) ;
  • de fournir aux autorités nationales (sur simple demande),  aux organismes d’autorégulation dans l’exercice de leur mission de surveillance en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme (sur demande motivée) et aux professionnels dans le cadre de leur vigilance à l’égard de la clientèle (sur demande motivée) les informations sur leur propriétaire légal et celles sur les bénéficiaires effectifs dans les limites décrites ci-dessous ;
  • de demander l’inscription au registre des informations concernant leurs bénéficiaires effectifs.

Le tableau ci-dessous a pour objectif de mettre l’accent sur les principales caractéristiques du registre des bénéficiaires effectifs (en abrégé REBECO) dont les modalités pratiques liées à son fonctionnement et à l’accès seront fixées par règlement grand-ducal.

Qui est le gestionnaire du registre ? Le groupement d’intérêt économique RCSL (mais il s’agit d’une banque de données distincte de celle du Registre de Commerce et des Sociétés)  Quelles entités sont concernées ? 
  • les sociétés commerciales (société à responsabilité limitée, société anonyme, société par actions simplifiées, société à responsabilité simplifiée, société en commandite par actions, société en nom collectif, société en commandite simple, société coopérative, société européenne) à l’exception des sociétés commerciales momentanées et des sociétés commerciales en participation ;
  • les groupements d’intérêt économique ;
  • les groupements européens d’intérêt économique ;
  • les sociétés civiles ;
  • les associations sans but lucratif ;
  • les fondations ;
  • les associations d’épargne pension ;
  • les associations agricoles ;
  • les établissements publics de l’Etat et des communes ;
  • les associations d’assurance mutuelle ;
  • les sociétés en commandite spéciale ;
  • les autres personnes morales et entités dont l’immatriculation est prévue par la loi.
Exception : les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé au Grand-Duché de Luxembourg ou dans un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace Economique Européen ou dans un autre pays tiers imposant des obligations reconnues comme équivalentes. Quelles informations devront être inscrites et conservées dans registre ? Les informations suivantes  concernant les bénéficiaires effectifs :
 
  • le nom ;
  • le(s) prénom(s) ;
  • la (ou les) nationalité(s) ;
  • le jour, mois et année de naissance ;
  • le lieu de naissance ;
  • le pays de résidence ;
  • l’adresse privée précise ou l’adresse professionnelle précise ;
  • le numéro d’identification national / étranger ;
  • la nature et l’étendue des intérêts effectifs détenus.
Un règlement grand-ducal fixera la liste des pièces justificatives à joindre à la demande d’inscription.

Les informations et pièces justificatives sont conservées par le registre pendant 5 ans après la date à laquelle l’entité est dissoute ou cesse d’exister.

Amende pénale de 1.250 à 1.250.000 euros pour les entités ou leurs mandataires qui ont sciemment demandé au registre l’inscription de données inexactes, incomplètes ou non actuelles. Qui doit demander l’inscription des informations au registre? Comment ?
  • les entités listées ci-dessus ou leurs mandataires ;
  • possibilité laissée au notaire, rédacteur de l’acte constitutif ou de tout acte modificatif de l’entité concernée.
La demande d’inscription s’effectue par voie électronique sur le site internet du gestionnaire. L’inscription sera faite par le gestionnaire dans les trois jours ouvrables suivant le dépôt de la demande d’inscription. Dans quel délai l’inscription des informations et leurs modifications devront-elles être demandées au registre ?
  • disposition transitoire : les entités disposent d’un délai de 6 mois après l’entrée en vigueur de la loi pour demander l’inscription des informations.
  • principe : au plus tard dans le mois de l’évènement qui rend l’inscription ou la modification nécessaire. Amende pénale de 1.250 à 1.250.000 euros en cas de défaut. 
Le gestionnaire peut-il refuser une demande d’inscription/ de modification ?  Oui, quand la demande est incomplète ou non conforme aux dispositions légales ou réglementaires ou ne correspond pas aux pièces justificatives.

Le requérant dispose d’un délai de 15 jours à compter de la date d’émission de la demande de régularisation pour s’y conformer. En cas de non régularisation, le gestionnaire notifiera au requérant son refus d’inscription qui devra être motivé. Le requérant disposera alors de la possibilité d’effectuer un recours devant la juridiction compétente. Qui aura accès au registre ? A quelles informations ?  
  • les autorités nationales sans restriction (le procureur général d’Etat, les procureurs d’Etat, les juges d’instruction, la cellule de renseignement financier, la Commission de surveillance du secteur financier (« CSSF »), le Commissariat aux assurances (« CAA »), l’administration de l’enregistrement et des domaines (« AED »), l’administration des douanes et accises, l’administration des contributions directes,..) ;
  • les organismes d’autorégulation dans l’exercice de leur mission de surveillance en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme (Conseil de l’Ordre, Chambre des notaires, Institut des réviseurs d’entreprises, Ordre des experts-comptables et Chambre des huissiers) – pas d’accès aux informations suivantes : adresse privée/professionnelle précise et numéro d’identification national/étranger ;
  • les professionnels tels que définis dans la Loi anti-blanchiment (excepté les succursales au Luxembourg de professionnels étrangers ainsi que les professionnels de droit étranger qui fournissent des prestations de service au Luxembourg sans y établir de succursale) dans le cadre de l’exécution de leurs mesures de vigilance à l’égard de leur clientèle – pas d’accès aux informations suivantes : adresse privée/professionnelle précise et numéro d’identification national/étranger ;
    Une demande d’accès non justifiée par un organisme d’autorégulation ou un professionnel peut conduire à une amende pénale s’élevant à 1.250 jusqu’à 1.250.000 euros.
  • les personnes ou organisations résidentes démontrant un intérêt légitime sur base d’une demande d’accès dûment motivée adressée au gestionnaire. Le gestionnaire transmet la demande à une commission de coordination qui décide du bien fondé de la demande d’accès et en avise le demandeur, l’entité (pour permettre la contestation) et le gestionnaire. Accès non prévu pour les  informations suivantes : jour et lieu de naissance, adresse privée/professionnelle et numéro d’identification national/étranger.
L’accès en consultation électronique pourra être demandé à l’expiration d’un délai de 6 mois après l’entrée en vigueur de la loi. Les pièces justificatives ne seront pas consultables.   Peut-on limiter l’accès au registre ? Une entité peut demander, au cas par cas et dans des circonstances exceptionnelles sur base d’une demande dûment motivée adressée au gestionnaire, de limiter l’accès aux seules autorités nationales lorsque cet accès exposerait le bénéficiaire effectif au risque de fraude, d’enlèvement, de chantage, de violence ou d’intimidation ou lorsque le bénéficiaire effectif est un mineur ou est autrement frappé d’incapacité.

Le gestionnaire transmet la demande à une commission de coordination qui décide du bienfondé de la demande et en avise l’entité et le gestionnaire. Jusqu’à la notification de la décision, le gestionnaire limite provisoirement l’accès aux autorités nationales.

2.Registre des fiducies (Projet de loi n° 7216)

Le champ d’application du Projet de loi n°7216 est limité aux contrats fiduciaires soumis à la loi du 27 juillet 2003 relative aux trusts et aux contrats fiduciaires.

Les fiduciaires établis au Luxembourg seront dorénavant tenus de se conformer aux obligations suivantes :

  • obtenir et conserver, au lieu de leur siège, des informations sur les bénéficiaires effectifs de toute fiducie pour laquelle ils occupent la fonction de fiduciaire.

Ces informations comprennent l’identité des personnes suivantes :

  • le constituant ;
  • les fiduciaires
  • le protecteur, le cas échéant ;
  • les bénéficiaires (si ces derniers sont désignés par caractéristiques ou par catégories, le fiduciaire obtient des informations qui sont suffisantes pour être en mesure d’établir l’identité de ces personnes au moment du versement des prestations ou au moment où ces personnes auront l’intention d’exercer les droits acquis) ;
  • toute autre personne physique exerçant un contrôle effectif sur la fiducie.

Si ces personnes sont des personnes physiques, les mêmes informations que celles prévues pour les bénéficiaires effectifs des entités devront être collectées à l’exception de la nature et de l’étendue des intérêts effectifs détenus.

S’il s’agit de personnes morales, le fiduciaire devra obtenir la dénomination de la personne morale (y compris l’abréviation et l’enseigne commerciale le cas échéant), l’adresse précise du siège de la personne morale, le numéro d’immatriculation ou le nom du registre et le numéro d’immatriculation étranger (si il existe) si la personne morale n’est pas immatriculée auprès du Registre de Commerce et des Sociétés.

  • fournir aux autorités nationales, sur demande, certaines informations (identité des personnes ci-dessus et numéro d’immatriculation de la fiducie).
  • déclarer leur statut de fiduciaires aux professionnels et leur fournir certaines informations lorsque, en tant que fiduciaire, ils nouent une relation d’affaires avec ces derniers ou exécutent une transaction occasionnelle dont le montant dépasse certains seuils fixés dans la Loi anti-blanchiment.

Les autorités de contrôles (CSSF, CAA, AED) surveillent le respect par les fiduciaires des obligations susmentionnées ainsi que des obligations professionnelles telles que définies dans la Loi anti-blanchiment.  Elles sont investies de pouvoirs de surveillance et d’enquête et ont le pouvoir d’infliger des sanctions et autres mesures administratives.

  • demander, pour toute fiducie qui génère des conséquences fiscales, l’inscription par voie électronique des informations ci-dessus au registre des fiducies établi auprès de l’AED.

A l’instar des entités, les fiduciaires disposent d’un délai de 6 mois après l’entrée en vigueur de la loi pour se conformer aux obligations prévues par le projet de loi. Par contre, seules les autorités nationales ont accès à ces informations. Le Projet de loi n°7216 confère également des pouvoirs étendus de surveillance et de sanction à l’AED.

3. Remarques

La mise en place de ces deux nouveaux registres va engendrer des obligations et responsabilités supplémentaires pour les entités et fiduciaires luxembourgeois auxquelles il convient de se préparer et ce, même si les deux projets de loi doivent encore suivre le processus législatif et sont, de ce fait, encore  susceptibles de modifications.

Tous les acteurs concernés par ces deux registres devront également se conformer aux dispositions de la loi modifiée du 2 août 2002 relative à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel qui sera abrogée et remplacée le 25 mai 2018 par le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

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