16/09/20

Le recours collectif en droit de la consommation : un projet qui avance au Luxembourg

Le 14 août 2020, la Ministre luxembourgeoise de la Protection des consommateurs a déposé à la Chambre des Députés le projet de loi 7650 portant introduction d’un recours collectif en droit de la consommation. L’objectif déclaré du projet de loi est de créer un accès efficace à la justice dans l’hypothèse particulière où le manquement d’un professionnel engendre un préjudice de masse, autrement dit subi par un nombre élevé de consommateurs. Ce projet de loi était attendu, notamment de la part de l’Union luxembourgeoise des consommateurs, et se révèle utile et nécessaire et autant équilibré que possible.

1. Un projet de loi attendu

Le dispositif légal, existant en France depuis 2014, également connu en Belgique et en Allemagne, était depuis un certain temps dans les cartons du gouvernement luxembourgeois. Il permettra à l’avenir l’action en justice d’un représentant unique d’un groupe de consommateurs (consommateur faisant partie du groupe ou entité qualifiée) pour le même manquement de la part d’un même professionnel. Ce, au lieu, d’une multitude de recours individuels aussi chronophages que dispersés et coûteux. Hasard du calendrier, ce projet de loi suit de quelques semaines l’adoption de la directive européenne relative aux actions représentatives dans le domaine de la protection des intérêts collectifs des consommateurs, le 22 juin 2020. Cette directive clarifie le rôle de ceux qui portent les recours collectifs ainsi que la répartition des frais judiciaires sur le principe de « qui perd paie ». Le nouveau cadre légal européen établit un équilibre entre la protection légitime des intérêts des consommateurs et la nécessité de la sécurité juridique pour les entreprises, tandis que chaque État membre devra mettre en place des garde-fous contre les recours abusifs. À minima, la directive européenne laisse le soin aux législateurs nationaux de préciser les règles opérationnelles, notamment en matière d’indemnisation. Le projet de loi luxembourgeois s’inscrit dans ce contexte européen.

2. Un projet de loi utile et nécessaire

L’essor des activités, le développement de la consommation et le progrès technique expliquent l’accroissement potentiel de la réalisation de dommages de masse ou sériels. L’introduction d’un recours collectif en droit luxembourgeois est nécessaire afin de garantir la plénitude des droits des consommateurs et permet d’assurer sa conformité au droit européen. Ce mécanisme vient utilement renforcer l’arsenal procédural luxembourgeois lorsque l’action individuelle, le règlement extrajudiciaire du litige ou l’action en cessation ne sont pas adaptés. « L’introduction du recours collectif permettra d’apporter une réponse juridique égalitaire et cohérente pour chaque litige (en fonction des consommateurs et des préjudices concernés) », précise le gouvernement dans un communiqué. La plupart du temps, des consommateurs isolés ne se trouvent pas la force d’attaquer seuls une grande entreprise, par exemple dans la téléphonie mobile ou le secteur automobile. Les grands groupes peuvent en profiter pour multiplier les situations de domination économique. D’après la doctrine, le recours collectif permet une meilleure administration de la justice lors des préjudices de masse. En effet, il permet la mutualisation des ressources financières et humaines, la facilitation de la preuve (témoignages, documents), la diminution des coûts administratifs, le désengorgement des tribunaux et l’évitement de verdicts contradictoires.

Il faut souligner que la procédure de recours collectif proposée ne crée pas de nouveaux droits par rapport à l’action judiciaire individuelle d’un consommateur. Ainsi, l’indemnisation des consommateurs est opérée par le biais de remèdes existants en droit commun ou en droit de la consommation, tels les dommages-intérêts issus de la responsabilité civile ou la mise en œuvre de la garantie légale de conformité (restitution du bien et du prix, réduction du prix, ou réparation ou remplacement du bien). Quant à son champ d’application, il reste celui du droit de la consommation, tel qu’il est actuellement défini par la loi et la jurisprudence. Certaines dérogations au droit commun de la procédure civile ont néanmoins été rendues nécessaires pour adapter le mécanisme au caractère « collectif » du recours.

Le recours collectif tel que proposé dans la version actuelle du projet de loi se décompose en trois phases. Il y a tout d’abord un jugement sur la recevabilité du recours collectif, afin d’écarter toute demande fantaisiste ou abusive. Si le tribunal déclare l’action recevable, il procède au fond et se prononce selon l’objet de la demande soit sur la responsabilité du professionnel (pour la réparation des préjudices), soit sur la cessation ou l’interdiction du manquement, soit les deux. Tout jugement sur la responsabilité du défendeur servira de « cas test » applicable à tous les autres cas analogues, autrement dit pour toutes les personnes placées dans une situation identique ou similaire qui subissent un dommage ayant pour cause commune un manquement d’un même auteur. Dans une deuxième phase, le projet de loi prévoit ensuite la mise en œuvre du jugement sur la responsabilité qui se déroule sous le contrôle d’un liquidateur. Dans une troisième et dernière phase, le liquidateur remet son rapport au juge chargé du contrôle de la mise en œuvre du jugement sur la responsabilité. Si tous les consommateurs ont été indemnisés, alors il prononce la clôture de l’instance. Sinon, il saisit de nouveau le tribunal d’arrondissement de Luxembourg pour voir statuer sur les demandes d’indemnisation des consommateurs non satisfaites par le professionnel.  

3. Un projet de loi équilibré 

Le projet de loi vise à créer une procédure efficace et efficiente adaptée aux litiges de groupe et renferme les garde-fous nécessaires pour éviter les actions abusives. Pour ce faire, le recours collectif est soumis à des conditions spécifiques et bénéficie des garanties procédurales du droit commun, notamment prévues par le NCPC. Il convient encore de rappeler deux éléments à l’origine de nombreuses dérives des class-action aux États-Unis et qui sont écartés : d’une part, notre système juridique ne connaît pas les dommages et intérêts punitifs et d’autre part, le pacte de quota litis est interdit au Luxembourg, puisque l’avocat ne peut pas percevoir une rémunération exclusivement fondée sur le résultat. Si la procédure proposée par le projet de loi garantit autant la protection des droits des consommateurs que ceux des professionnels, elle procure également au juge une marge de manœuvre suffisante pour qu’il puisse adapter le mécanisme aux litiges qui lui sont soumis. Enfin, le règlement extrajudiciaire du litige collectif est également encouragé par le projet de loi, par le biais d’une réunion d’information obligatoire lorsque la demande de recours collectif est déclarée recevable, afin que les parties trouvent si possible une solution amiable de réparation. Pour garantir le respect des droits des parties, l’accord qui en résulte doit obligatoirement être homologué par le tribunal (futurs articles L. 522-1 à L. 522-17 du Code de la consommation). Le projet de loi sur le recours collectif laisse ainsi une place importante à la résolution amiable du lige de consommation.

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