09/04/18

Les principales clauses conventionnelles tendant à restreindre la libre cessibilité des titres dans les S.A. et les S.A R.L.

Sous l’influence du droit anglo-saxon, nous assistons depuis plusieurs années au développement exponentiel en droit luxembourgeois des conventions extrastatutaires (communément appelées conventions d’actionnaires ou pactes d’associés ou toute combinaison de ces termes). Destinées à régir les relations entre actionnaires/associés d’une société en complément de ses statuts, les principaux attraits de ces conventions d’actionnaires résident dans leur plus grande flexibilité et discrétion par rapports aux statuts. Leur désavantage majeur est lié à l’« effet relatif » y attaché qui explique paradoxalement (i) la réplication fréquente de certaines de leurs clauses dans les statuts de la société afin de les rendre opposables aux tiers ou (ii) la mention de leur existence dans les statuts afin de porter celles-ci à la connaissance des tiers (pour que ces derniers soient raisonnablement forcés de s’enquérir de leur contenu dans certaines circonstances). Parmi les clauses fréquemment rencontrées dans de telles conventions se trouvent les clauses de restrictions à la cessibilité des titres destinées tantôt à fermer ou à ouvrir l’actionnariat de la société.

De manière synthétique il existe trois clauses faisant (directement) obstacle à la libre cessibilité des titres : les clauses d’inaliénabilité, les clauses d’agrément et les clauses de préemption.

La clause d’inaliénabilité est fréquemment utilisée pour maintenir des associés stratégiques au capital (comme par exemple les dirigeants opérationnels). Elle a pour objet d’interdire à un associé de vendre sa participation dans la société pendant une certaine durée.

La clause d’agrément permet de refuser l’entrée d’un tiers au capital de la société sans l’obtention préalable du consentement de tout ou partie des autres associés, d’un organe de gestion désigné ou d’un tiers. Sa finalité est de maîtriser la composition de l’actionnariat en évitant l’entrée au capital de personnes « indésirables » (comme par exemple un concurrent). Précisons que rien ne s’oppose cependant à ce qu’un agrément soit imposé en cas de cession entre associés (notamment pour préserver un équilibre établi entre groupes d’actionnaires). Souvent l’agrément est doublé d’une clause de préemption.

La clause de préemption permet aux associés, ou à certains d’entre eux, d’acquérir par préférence toutes valeurs mobilières ou titres de créances émis par la société si l’un des associés souhaite les céder, il s’agit donc d’une promesse de vente éventuelle. Cette clause permet aux actionnaires bénéficiaires d’augmenter leur participation, tout comme elle peut servir simplement à maintenir entre eux les proportions existantes dans la répartition au sein du capital social. Il existe de multiples variantes de ces clauses (passant trop souvent inaperçues en raison de l’usage générique du terme « préemption »): la clause stipulant que l’actionnaire qui a reçu une offre doit la soumettre aux bénéficiaires de la clause afin que ceux-ci puissent acquérir les actions, au prix proposé par le tiers candidat acquéreur ou défini par un expert ou même par l’assemblée générale, dite clause de first refusal ; la clause stipulant que l’actionnaire désireux de céder ses titres doit les proposer d’abord aux bénéficiaires de la clause avant même d’avoir reçu une offre, dite clause de first offer ; ou encore la clause anglaise par laquelle le candidat vendeur vend provisoirement ses actions au bénéficiaire de la clause sous réserve de trouver, dans un délai déterminé, un tiers offrant un meilleur prix. Si le cédant trouve ce tiers, le bénéficiaire dispose alors d’un délai pour s’aligner sur le prix offert par le tiers.

D’autres clauses restreignant plus indirectement la cessibilité des titres existent également, comme par exemple les clauses organisant un droit de suite, une obligation de suite et les différentes options (obligation de sortie, droit de sortie…). Celles-ci ne seront pas abordées dans la cadre de ce premier cahier.

Avant la loi du 10 août 2016 qui a réformé la loi sur les sociétés commerciales de 1915 (la « Loi »), il n’existait aucune disposition légale régissant les clauses précitées (sous réserve du droit d’agrément organisé dans les S.à. r.l.[1]). Toutefois la doctrine et la jurisprudence reconnaissait généralement leur validité tant dans les statuts que dans les conventions d’actionnaires, à condition qu’elles soient en substance cumulativement (i) limitées dans le temps, (ii) non contraires à l’intérêt social et (iii) non contraires à l’ordre public.

La réforme intervenue en 2016 a désormais introduit des règles spécifiques destinées à régir les clauses d’inaliénabilité, d’agrément et de préemption dans les S.A. et a modifié les règles d’agrément préexistantes dans les S.à. r.l.

Ainsi, dans les sociétés anonymes l’article 430-1 de la Loi ne visant que les clauses d’inaliénabilité, d’agrément et de préemption prévoit que la validité des clauses d’inaliénabilité est subordonnée à une limitation dans le temps et celle des clauses d’agrément et de préemption est subordonnée à une limitation de la période d’incessibilité qui ne saurait être supérieure à douze mois maximum.

L’article 710-12 de la Loi dans sa nouvelle mouture prévoit désormais quant à lui pour la S.à r.l un mécanisme d’agrément d’ordre public applicable tant en cas de cession entre vifs qu’en cas de cession entre morts ne pouvant aboutir en cas de refus d’agrément à une incessibilité des parts sociales concernées au-delà de 3 mois à compter de ce refus.

A ce jour, il subsiste cependant une interrogation quant à l’applicabilité ou non des règles précitées aux clauses contenues dans les conventions d’actionnaires. Il semble que la tendance actuelle de la doctrine majoritaire est de considérer à cet égard que les clauses conventionnelles[2] d’inaliénabilité, d’agrément et de préemption sont valables et ne sont pas soumises aux dispositions légales précitées, tout en restant régies par le droit commun des obligations (malgré le principe de l’autonomie de la volonté) [3].

En vertu de ce dernier, les clauses conventionnelles d’inaliénabilité, d’agrément et de préemption obéissent ainsi aux règles suivantes :

Dans les sociétés anonymes les clauses d’inaliénabilité restent sujettes au respect des trois conditions dégagées antérieurement par la doctrine (savoir (i) limitation dans le temps, (ii) non contrariété à l’intérêt social ou selon certains auteurs à une exigence d’une justification sérieuse et légitime et (iii) non contrariété à l’ordre public). Ces clauses sont par conséquent soumises à plus de restrictions que leurs versions statutaires. En outre, en l’absence de jurisprudence en la matière, il existe une incertitude quant à l’étendue de la durée maximale admise pour ce type de clauses même si la pratique admet généralement qu’une durée de 5 à 7 ans est raisonnable.

Les clauses d’agrément et de préemption restent quant à elles également soumises au respect des conditions antérieurement dégagées par la doctrine. Toutefois elles semblent bénéficier d’une plus grande souplesse (que leur version statutaire) en l’absence d’obligation en droit commun de ne pas restreindre la cessibilité au-delà de 12 mois. Cela étant dit, la doctrine antérieure plaide pour une porte de sortie nécessaire et un actionnaire ne saurait ainsi rester « prisonnier » indéfiniment de la société[4]. Il est donc recommandé de stipuler des mécanismes de rachat des titres par la société ou du moins l’obligation pour la société de trouver un acquéreur aux conditions qu’une clause du pacte devra préciser.

Enfin notons l’absence de règles en droit commun concernant le prix en cas de préemption. Il convient donc de prévoir un mécanisme conventionnel avec un prix déterminé ou déterminable (avec l’intervention d’un tiers-expert en cas de contestation le cas échéant).

Dans les sociétés à responsabilité limitée, l’agrément conformément à l’article 710-12 de la Loi est d’ordre public et ne saurait donc être contourné. Un associé doit pouvoir sortir dans les 3 mois du refus d’agrément, ce qui laisse planer des interrogations quant à la validité des clauses d’inaliénabilité dans la S.à r.l.

Qu’en est-il des sanctions du non-respect des clauses d’inaliénabilité, d’agrément et de préemption contenues dans les conventions d’actionnaires ? Alors que pour les clauses statutaires la sanction est claire (la nullité), il en va différemment pour les clauses conventionnelles. Selon la doctrine majoritaire de telles clauses conventionnelles appellent, en cas de violation, la seule allocation de dommages et intérêts (sauf à démontrer que le tiers acquéreur était de mauvaise foi ou complice). Par conséquent, il y a un réel intérêt confirmé par la pratique à doubler les clauses conventionnelles de clauses statutaires ou à tout le moins de faire référence à leur existence dans les statuts.

En somme, autant la validité et le régime des clauses statutaires d’inaliénabilité, d’agrément et de préemption ne souffre presque plus aucun doute, celui de leurs versions conventionnelles n’est que virtuellement-certaine.

Les prescriptions applicables aux clauses d’inaliénabilité, d’agrément et de préemption varient désormais selon qu’elles soient statutaires ou conventionnelles, ce qui entraîne un risque d’incohérence quant aux règles en vigueur (tantôt plus souples ou plus rigides selon que les clauses soient statutaires on non) et crée de facto une insécurité juridique en la matière.

Dans l’attente de la prise de position de la doctrine et de la jurisprudence à ce propos il convient de faire preuve de prudence et de valider la rédaction de telles clauses par un professionnel au cas par cas.
 
[1] Article 189 loi sur les sociétés commerciales du 10 août 1915 telle qu’en vigueur avant 2016.
[2] Par opposition aux clauses statutaires.
[3] « La réforme du droit luxembourgeois des sociétés », sous la direction d’André Prüm, édition Larcier 2017, in De nouveaux espaces de liberté dans le droit des sociétés luxembourgeois par Isabelle Corbier et André Prüm, page 35 n° 9 et 57 n°54 / Rapport final de la commission juridique du 11 juillet 2016 (5730-15), observation du Conseil d’Etat, pages 35 à 37.
[4] L’une des caractéristiques de la société anonyme étant le principe de libre négociabilité des actions.
 

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